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René y vit un abri et s’installa dessous pour déjeuner. Il apercevait en contre-bas la Meuse. La Meuse qui, l’an dernier, avait coulé rouge !

En haut de la côte, une automobile venait, elle avait une singulière allure en zigzags, frôlant les arbres, et soudain elle s’arrêta juste devant le garçon. Mousson se mit à aboyer. Un officier avait jailli brusquement par la portière, blême de colère et lançant des bordées d’injures au mécanicien qui le regardait bêtement avec un sourire.

Celui-là, exaspéré, finit par prendre le bras du conducteur et, le tirant avec violence, le jeta sur la route, l’autre y resta allongé :

— Ivrogne, misérable ! Et rester là, en panne ! pressé comme je le suis !

Il gesticulait, cognait sur le chauffeur inerte, endormi.

Il se retourna vers ce chien qui le harcelait et aperçut le jeune garçon.

— Rappelle donc ton chien, imbécile, qu’est-ce que tu fais là ?

— Je vous attendais, gouailla le petit Parisien amusé.

L’Allemand lança un coup de pied à Mousson qui l’esquiva et revenant furieux sur René qui mangeait très calme :

— Va me chercher un auto à Retliel.

— Allez-y plutôt ; moi, je n’ai pas le temps.

— Tu te moques de moi. Hein, tu vas voir...

René sauta sur le talus, Mousson montra ses dents splendides et inquiétantes.

— Je te payerai, petite canaille. Je dois être à Mézières dans une heure, et je reste là collé...

Ces mots : à Mézièrcs ! furent un trait de lumière. René revint sur la route, apaisa son chien et très sérieux dit :

— Vous voulez aller à Mézièrcs, Mein Herr, montez dans votre auto, je vous conduirai.

L’Allemand regarda le garçon avec surprise, mais l’air résolu de René, son aspect de force et d’intelligence, lui firent comprendre que la proposition n’était pas une plaisanterie.

— Tu sais conduire ?

— Très bien. Je l’ai fait pendant toutes mes vacances.

— Je ne peux pas rester là. Essayons, accepta l’officier acculé à la nécessité.

René avait, en effet, dirigé l’automobile de sa grand’mère pendant scs séjours en Anjou ; il était sûr de lui, de son sang-froid, et il voyait dans cet incident une telle bonne fortune !

Il tourna la manivelle, s’installa devant la direction, mit le pied sur l’accélérateur et fixant l’Allemand ;

— Nous démarrons.

L’autre fît signe que oui. Il était seul dans sa limousine, une serviette bourrée de papiers auprès de lui.

Bien entendu, sans en être prié, Mousson avait bondi près de son maître.

L’auto glissa d’abord doucement, puis régla son allure sur quarante kilomètres à l’heure. On allait droit, sans secousses ; avec une habileté acquise par l’habitude, le jeune conducteur évitait les ornières, cornait à propos et éprouvait en lui-même un si grand contentement ! Comme il savait se servir des Boches !

Une heure et demie plus tard on apercevait la vieille ville forte, la Meuse, le beau pont suspendu qui relie Mézièrcs à Charlcville.

René ralentissait, puis se tournait vers l’intérieur de la voiture pour s’enquérir de l’endroit où il fallait stopper.

— Hôtel du Palais-Royal, indiqua l’Allemand.

Ce n’était pas difficile à trouver. Ce nom rappelait le mariage de Charles IX, accompli en cette ville au XVIe siècle.