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— Attendre une journée ! Je ne puis perdre une journée. J’irai à pied, quelle est la distance ?

— Quarante-trois kilomètres.

— Un jeu !

Il sauta du lit, serra encore la main du brave Hartmann et fit sa toiletté en un instant. Mousson, auquel il fallait encore moins de temps, s’étira paresseusement, ouvrit sa gueule rosée en une bruyante baillée et, assis sur sa queue, regarda son maître. Il semblait dire :

— Et aujourd’hui, qu’est-ce que nous allons faire ?

Le professeur était parti. L’enfant descendit dans la rue. Sauf le propriétaire de la maison, il ne rencontra personne dans l’hôtel, les officiers étaient à leur poste. Il chercha une église, ce n’était pas difficile à trouver, l’ennemi ne les ayant pas interdites, mais combien triste était l’aspect do la pauvre ville ! Boutiques fermées en grand nombre, et sur les autres des noms allemands ; sur l’école où entraient des enfants le mot Schull. Des traces de boulets, des ruines qu’on était en train de réparer, un marché et, enfin, le haut portail de l’église paroissiale. René poussa le battant, la nef était à peu près vide ; cependant, quelques femmes priaient devant l’autel où un ptrêtre célébrait la Messe. Un prêtre catholique allemand, sans doute. Qu’importe, le Saint Sacrifice est le même.

René s’agenouilla, mais, en ce moment, lui et tous les assistants furent troublés par des hurlements, des cris de détresse et de désespoir. Le petit se releva vite, redescendit la nef ; il avait compté sans Mousson laissé au dehors et qui, la pauvre bête, n’admettait plus un nouvel abandon.

— Que faire de toi ? lui dit René, est-ce que tu vas m’empêcher de faire ce que je veux ? Reste tranquille, couche-toi et m’attends.

Ge discours achevé, il rentra dans le sanctuaire, se plaça au bas près du bénitier, mais le chien se faufila à côté de lui, s’assit et ne bougea plus.

— Reste donc ; heureusement il n’y a pas de bedeau, conclut René.

Il pensait à saint François d’Assise qui appelait les oiseaux « ses frères », il se rappelait avoir entendu son père dire qu’en Espagne les chiens étaient admis dans les églises à la suite de leurs maîtres.

À l’issue de l’office, il quitta le sanctuaire et se mit à suivre la longue rue Gambetta. C’était un va-et-vient continuel, il défilait des troupes sans arrêt, mais quelles troupes !

Ah ! ce n’était plus le pas de parade. Des hommes se traînaient, épuisés, en lambeaux, toussant, courbés, si visiblement éreintés que la population les prenait en pitié, leur donnait quelque réconfort au passage.

René pensa :

— Voilà nos adversaires ! si c’est ceux-là qu’on envoie devant les nôtres !

Ces malheureux tombaient de sommeil. Ils allèrent camper dans la cour ; de la gare où ils s’étendirent sur la terre gelée, anéantis.

— Oh ! la guerre ! soupira le petit Français.

Son chien grognait, plusieurs fois il dut le contenir.

Il savait son chemin grâce à sa carte d’état-major et à sa boussole. Au faubourg, il acheta un pain — le pain noir allemand — et du jambon. À sa grande surprise, il trouva des marks dans sa poche… et comprit. Une envolée de reconnaissance ramena sa pensée vers son cher professeur.

La route de la Meuse était déserte, le défilé des soldats et des pièces d’artillerie venait de Sedan. Il se lança d’un bon pas ; c’était d’autant plus facile, que le temps, mis au sec, était superbe ; une forte gelée avait rendu le chemin résistant, un beau soleil brillait sur la campagne d’aspect étrange avec ses maisons bâties de matériaux pris au hasard, les toits couverts avec de vieilles boîtes de conserves, comme on en trouvait partout de vides. Ils avaient l’air d’argent. À un coude de la voie, il y avait un épais massif de genévriers.