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— À quel prix, Karl ! J’aurais mieux aimé que tu me dises : C’est la paix !

Il remonta sur ces mots que l’autre ne releva pas, las lui aussi, sans oser le dire.

Le professeur entra avec précaution pour ne pas éveiller l’enfant dont il avait assumé la garde, l’enfant qu’il aimait, l’ayant vu grandir. Il le regarda, si confiant, et il se livra dans le silence à un examen des poches de l’enfant. Il les visita une à une, il voulait s’assurer que rien de compromettant n’existait en dehors de ce qu’il savait. Sa conscience à lui et la propre sécurité du petit exigeaient cette précaution. Il ouvrit le portefeuille de René : il contenait une carte des rives de la Semois avec des points de repère marqués, une photographie de son père et de sa mère, et cent cinquante francs en billets. Hartmann prit cinquante francs et les changea en marks qu’il mit à la place. Ceci accompli, il eut l’esprit tranquille et finit par se coucher, lui aussi, en songeant encore :

— Pourquoi les peuples se détestent-ils… puisque Dieu n’a créé que des frères, ses enfants, et que nous disons tous le même Pater ?

CHAPITRE XV

EN PLEINE GERMANIE

Quand René s’éveilla, il aperçut près de lui son professeur équipé, prêt à partir. Il eut le geste charmant d’un enfant et tendit les bras. L’Allemand se pencha, embrassa le front pur du petit Français, son visage exprimait la tristesse ; il dit :

— Mon cher petit, j’avais espéré pouvoir vous conduire à Mézières, nous sommes si peu libres !… et je dois retourner là-bas au chantier.

— Je me lève tout de suite, Monsieur. Comme je vous ai dérangé ! aussi comme je vous suis reconnaissant !

— N’en parlons pas, mon ami. Vos parents m’ont aidé à mes débuts, vous avez été mon premier élève. Si je mourais, René, pensez à mon fils, car la France redeviendra grande et prospère… Pour n’être pas molesté, il a pris le nom de sa mère au collège de Rennes où il est, et je n’ai jamais de leurs nouvelles !

— Aussitôt que je serai revenu, Monsieur, soyez sûr que je leur porterai des vôtres et leur conterai ce que vous avez fait pour moi.

— Non, gardons notre secret… il nous compromet tous les deux. Nous n’avons pu être ennemis, on ne nous le pardonnerait pas. Je vais vous demander votre parole, René, je sais pouvoir y compter.

— Je vous la donne, Monsieur. À quel sujet ?

— J’ai un devoir, n’est-ce pas, ne me le faites pas trahir. Ici n’observez rien, ne déduisez rien, ne répétez rien. Passez sans voir, sans entendre et, notre frontière franchie, oubliez. Ne croyez pas faillir à votre patrie, ce n’est que la rançon de votre passage en ce pays ennemi qui ne l’a pas été pour vous.

— Je vous le promets, Monsieur.

— Maintenant, voici un sauf-conduit, il est au nom de mon fils, dont vous avez l’âge. Mon frère gouverne la ville de Mézièrcs, mais, s’il vous est possible, passez plutôt sans le voir. Il a le cœur moins français que moi.

— Pourrais-je prendre un train bientôt ?

— Non. Ils sent tous réservés aux troupes, il n’y en aura un de voyageurs qu’à 10 heures ce soir.