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— Dans un hôtel quelconque. Je ne connais pas la ville. Est-elle habitable en ce moment ?

— Très bien ; si les Français ne s’étaient pas sauvés à notre approche, ils n’auraient eu aucun mal. Je vais vous offrir de partager ma chambre, j’ai deux lits, parce que longtemps j’ai gardé un ami blessé, il est parti depuis une semaine ; de la sorte, mon enfant, il ne vous arrivera rien de fâcheux.

— Comme vous êtes bon, Monsieur. Quel dommage que vous soyez Allemand ! "

— Est-ce bien l’heure de vous en plaindre ? riposta le professeur avec un sourire. Ce soir, si vous voulez, j’ai mon violon, nous jouerons la symphonia pastorale. Je ferai la partie de piano. Chaque soir, à l’hôtel, nous faisons un peu de musique avec des camarades.

— Allemands ?

— Sans doute.

— Oh ! alors, Monsieur, vous m’excuserez, je suis en deuîl !

Le professeur n’insista pas… René pensait à la singulière mentalité de cette race, dont il aimait la musique et les poètes, et qui, à présent, se révélait si odieusement brutale et cruelle.

Attentif, paternel, le professeur enveloppait l’enfant dans la couverture, une superbe peau de loup de même provenance que les meubles.

Ils roulaient dans la nuit glacée à une allure vertigineuse, sur cette voie neuve, encore incertaine, que les audacieux nommaient Aix-Ia-Chapelle-Calais. Le train ralentit à la rampe rude qui mène à Rethel perchée si haut sur la rive droite de l’Aisne, ils évitèrent la gare des voyageurs, la rame de ballast s’arrêta à sa jonction avec l’embranchement de Reims. Les ouvriers descendirent en hâte pour gagner au plus vite leur cantonnement sous la conduite du feldwebel, tandis que le capitaine, accompagné de René, se dirigeait vers l’hôtel du Cœur d’Or.

Bien qu’il fût tard, les officiers logés dans la maison veillaient encore. Ils jouaient, fumaient, buvaient d’immenses chopes qu’ils tournaient sur un rond de feutre et précipitaient dans leur gosier pendant le mouvement giratoire du liquide de pius en plus accéléré. C’est un petit tour de force très goûté des Allemands. Quelques-uns jouaient au piano des valses sentimentales. À cause de son compagnon, Hartmann n’entra pas au salon, il monta tout de suite chez lui, offrant à René de lui faire apporter à souper. Mais le jeune voyageur, éreinté, supplia qu’on le laissât dormir, n’ayant d’autre désir.

Hartmann le comprit, laissa son invité s’installer à son aise et retourna souper. Quant à Mousson, il s’était déjà coulé sous l’édredon.

Jamais comme ce jour-là René n’avait apprécié des draps frais, un lit, une chambre chaude, un cabinet de toilette pour faire ses ablutions.

Il s’endormit immédiatement.

Après son repas, Hartmann s’approcha d’un officier qui lisait, pipe aux dents :

— Dis donc, Karl, comptes-tu toujours aller demain à Mézières ?.

— Oui. Pourquoi ?

— Parce que si tu voulais me remplacer sur la ligne, je serais content d’aller voir mon frère qu’on va déplacer incessamment.

— Je voudrais bien, mais il y a demain de grands bouleversements de troupes. Il en vient du front russe qu’on va jeter en France, Je n’obtiendrai pas une permission. Tu as vu les journaux ?

— Non, j’arrive.

— Eh bien, nous avons enfoncé les Serbes. Ils ont le sort des Belges, mon cher ! Rien ne nous résiste.