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fournée, abandonnée sans doute pour cause de fuite précipitée, devait avoir plusieurs jours de date.

Qu’importait, les deux affamés dévoraient. Quand le premier morceau fut absorbé, René en coupa un autre et continua ses recherches. À présent il aurait bien voulu boire, seulement la recommandation du bon Mullois à propos des puits empoisonnés l’effrayait.

Dans la cour du boulanger il y avait bien une pompe, mais le battant manquait et le robinet de cuivre avait été arraché. Il avança dans le jardin, ni fontaine ni bassin d’eau ; en revanche, un peu partout des bouteilles vides, brisées, attestant le passage des saccageurs. Le chien l’accompagnait, occupé de la même pensée. Les deux seuls êtres vivants de ces lieux désolés cherchaient le moyen de vivre. Le froid piquait dur, un vent glacé courait autour des bâtiments déclos, nulle part une pièce un peu épargnée n’offrait d’abri.

L’enfant frissonnait, bien qu’il se trouvât infiniment mieux depuis son repas. Il monta quelques marches d’un escalier de pierre et regarda au loin. Un halo clair dans Le ciel semblait désigner l'emplacement d’une ville. Serait-ce Laon ?

Parfois aussi il entrevoyait comme des projections et des lueurs en éclairs, mais pas de roulements de canon, le vent devait être contraire ; probablement c’étaient des éclatements de grenades. Il redescendit, le chien avait disparu... Il le regretta, il était tellement seul ! Mais sa devise lui sauta aux lèvres, comme un reproche : « J ’arriverai ! »

D’instinct, il revint à la boutique du boulanger, et ce fut encore à l’instinct de la bête qu’il trouva où dormir. Le chien était tout simplement monté dans le four, s’était allongé le long des pains et il ronflait avec sérénité. René ne put s’empêcher de sourire, il écarta les miches et se coula contre son compagnon, bien chaudement dans cette niche ronde où il y avait place pour eux deux. Il y faisait noir — c’est le cas de le dire, comme dans un four, — au dehors, le ciel s’était chargé subitement de nuages lourds et des flocons blancs commençaient à tomber.

La neige !

Il avança les mains, cueillit quelques parcelles blanches pour rafraîchir ses lèvres, puis, quand la couche fut plus épaisse, il descendit de sa « chambre à coucher » et se régala longuement de ce dessert si bien arrivé à point. Il voulut appeler le chien, pour lui faire partager le bon rafraîchissement et tout naturellement un nom lui vint aux lèvres : Mousson !

L’effet de ce mot fut instantané, la bête bondit avec des jappements de joie, elle posa ses pattes sur les épaules de l’enfant, et celui-ci ému, comprenant le bienheureux hasard d’une telle rencontre, prit l’animal par le cou et l’embrassa à plein cœur !

— Mousson, mon chien ! le chien de papa !


CHAPITRE XIII

LA RENCONTRE


René ne s’endormit pas vite, il était d’ailleurs à peine 5 heures du soir, bien que la nuit fut complète ; il pensait à son père qui avait peut-être suivi cette même route, puisque son chien y errait encore ; il croyait à l’inspiration paternelle qui lui facilitait toutes choses dans cet invraisemblable voyage semé de pièges et de chausse-trapes. La decouverte de ce four était une trouvaille, il emporterait une bonne provision. Comme il avançait peu !