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emplis de boue, et au fond un boyau détruit par l’affaissemtent du sol laissait échapper une odeur infecte, un pied passait à travers les boisages brisés.

René s’enfuit, le cœur défaillant. Avant que la nuit fût venue, il espérait trouver un gîte, car le froid s’accentuait, avec la tombée du jour. Il marchait prudemment, redoutant les fils de fer, mais il n’y en avait plus du côté où il allait. Il se mit à courir pour s’échauffer.

Très loin, sous un dernier rayon, il crut reconnaître un village. Cette vie le ranima, scs jambes lourdes retrouvèrent un peu d’énergie, il parvint encore à courir. Le sol marquait des traces fraîches de piétinement, une troupe avait dû passer là depuis peu ; mais, plus il avançait, plus le village prenait l’aspect sinistre. Aucune fumée ne s’échappait des cheminées qui se dessinaient bizarrement, non environnées de toits.

Aucun bruit non plus : ruine et mort !

Des cadavres de chevaux jalonnaient la plaine, l’un, les quatre pattes en l’air, accrochait à ses fers luisants des clartés.

Il atteignit les maisons, le feu avait passé là... les murs restaient seuls debout, des fenêtres béantes, des portes calcinées, de pauvres jardins où par place un peu de verdure demeurait, les arbres fruitiers étaient coupés par le pied, c’était l’abomination de la désolation.

René avait envie de pleurer, il parcourait ce désert à la recherche d’un abri... introuvable ; pas un être humain, tous les pauvres habitants avaient fui...

Il voulut entendre une voix et il appela tout haut :

— Papa !

Rien ne répondit qu’un vague écho, mais une course, un bond, et un grand chien jaune fut là sur lui.

René tressaillit de surprise, puis, comme le pauvre animal était aussi perdu et affamé que lui, une sympathie de malheur les fit s’unir pour arpenter les ruines. Sur une façade, l’ironie des choses laissait intact ce mot : Boulangerie. En la circonstance, ce rappel était cruel, il entra quand même dans le magasin à ciel ouvert. Dans l’arrière-boutique, non moins délabrée, il y avait un four fermé d’une plaque de tôle, et, devant ce four, le chien, deux pattes dressées, jappait :

— Il sent la place du pain, se dit René tristement.

Il s’assit sur une marche de pierre, si las. Il se revoyait à cette heure rentrant du collège... il y avait seulement quelques jours ; depuis, que d’événements, mon Dieu ! Il se chauffait devant la salamandre et Juliette lui présentait son goûter : une belle grosse tartine de rillettes ou de confitures. Il songeait à l’ange qui conduisait le jeune Tobie... au corbeau qui nourrissait le saint prophète dans le désert... Une idée lui vint, une idée inspirée du beau tableau de Fra Angelico. Il se leva, ôta son béret de laine, et récita, tout haut le bénédicité.

Le chien, très agité, venait à lui, retournait au four, jappait...

— Qu’est-ce qu’il y a dans ce four, mon vieux ? tu veux que je l'ouvre.., tu t’imagines qu’il est rempli de pain !

Il alla enlever la plaque de fer qui fermait hermétiquement l’ouverture et resta figé sur place, immobile. Une fournée de pains était intacte, un peu trop cuite sans doute, mais encore mangeable.

René se frotta les yeux, se croyant victime d’une hallucination, d’un mirage causé par la faiblesse. Il n’osait avancer la main ; mais le chien, moins imaginatif, avait attiré une miche avec ses pattes et y mordait à belles dents. Cette fois, l’enfant osa ; un sourire heureux aux lèvres, il prit un pain, en cassa un gros morceau et se mit à manger avec une joie sans mélange.

Jamais il n’avait trouvé un pain aussi exquis, bien qu’assez dur, car la