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— Rassemblement !

La troupe avait peu souffert, elle se groupa au bord du ruisseau, les hommes y trempaient leurs mains, lavaient leurs blessures, un pâle soleil montait à l’Oricnt.

Le petit embrassa d’un dernier regard le triste aspect de ce coin de France dévasté, il aperçut le capitaine, sa manche rouge arrachée, qu’un camarade pansait ; puis il partit, en courant sans se retourner. Plus que quinze jours ! J’arriverai ! Dieu le veut !

CHAPITRE XII

SEUL DANS LA PLAINE

L’enfant élevé avec tant de douceur, caressé, choyé, qui de sa vie n’avait dormi une nuit à la belle étoile, avait, en un jour, oublié ce passé de molle tendresse. Il s’était aguerri instantanément, le courage placé en lui par un don du ciel était monté à la surface et rien, on peut le dire, ne l’effrayait. Il venait de voir la plus épouvantable des scènes de guerre, il avait encore les oreilles bourdonnantes, ses vêtements percés par des étincelles sentaient le roussi, une brûlure au cou lui avait fait arracher sa cravate et il ne pensait qu’une chose :

— J’ai grand’faim ! Où pourrais-je trouver un morceau de pain ?

Il marchait, unique voyageur, à travers des champs aux limites perdues, aux terres hérissées de bosses, de trous ; sa boussole en main, il ne déviait pas du but, droit au Nord. Maintenant l’air se raffermissait, le ciel très pur, dégagé, était rayé de grands vols de corbeaux, qui s’abattaient soudain, tenaces, croassant, couvrant de leurs plumes noires le sol d’où montaient par bouffées des relents pestilentiels.

Vers midi, le petit s’arrêta les jambes tremblantes, il n’en pouvait plus ; depuis le souper chez l’épicier, il n’avait pas avalé la moindre chose et son jeune estomac criait famine.

Autour de lui… rien. Aussi loin que ses yeux pouvaient porter, c’était la plaine nue, on aurait dit que tous les soldats du monde s’étalent envolés. Il s’assit sur une roche moussue contre un talus où se dressaient encore quelques ceps noircis. Il était si las que ses yeux se fermèrent, son corps s’affaissa et il s’endormit.

Le froid l’éveilla à l’heure où le soleil, déjà très bas sur l’horizon, n’envoyait plus du tout de chaleur. Il regarda sa montre : 3 h. juste le moment du coucher du soleil aux derniers jours de novembre. Comme iï avait perdu du temps ! Et il avait tellement faim !

Pourtant, la sieste lui avait rendu un peu de forces, il se remit debout. La grosse boule rouge rasait la plaine, il se mit à sa gauche et marcha devant lui.

Une chose hérissée le fit tomber, il se releva les mains déchirées en reconnaissant des fils de fer barbelés ; un grand trou était là sous ses pas, il . formait un sillon dentelé dont il ne voyait ni la fin ni le commencencement.

— Une tranchée, mais elle est abandonnée, éboulée, semble-t-il.

Il y sauta, la gelée commençait à durcir la terre et le crépuscule envahissait la plaine. Il cherchait autour de lui… son père chéri lui avait parlé dans tant de lettres de ces affreuses tanières. Une petite baraque fermée d’un lambeau d’étoffe attira son attention. Ç’avait dû être 1a chambre de l’officier. .. Des débris de boîtes de conserves, des tessons de bouteilles, des verres