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— J’irai, acquiesça René, vous allez me montrer par où.

— C’est notre chemin, à droite de la route, tu verras. Brave gamin ! t’es de la bonne graine, ça se voit.

Désirée accourait :

— Les soldats viennent, ils vont arrêter le cordonnier, moi je me suis sauvée, qu’ils se débrouillent.

Dans la rue, on entendait le pas des hommes, mais l’ordre était d’agir toujours discrètement pour ne pas émouvoir la population, la jeune fille avait expliqué les choses, le capitaine du poste s’était transporte sur place. Le rôle des braves Mullois était fini. Celui de la justice commençait.

CHAPITRE XI

DANS LA NUIT

Sur la route cahoteuse, aux profondes ornières, la charrette essayait en vain de trotter ; de plus, ne pouvant avoir de lanternes, n’osant faire claquer le fouet, Mullois en était réduit à encourager son cheval d’un léger sifflement. On marchait dans un nuage, la lune décroissante se montrait à peine, noyée et pas une étoile ne transparaissait là-haut.

— Une vraie nuit d’embuscade, disait Mullois au jeune compagnon assis à côté de lui sous la même couverture, dommage que tu ne sois pas du pays.

— Je l’ai bien étudié sur la carte, Monsieur. Pendant que vous étiez à la cave avec le capitaine, après souper, j’ai vu, sur la toile cirée qui couvre la table où nous avons mangé, la carte du département et j’ai lu.

— Vrai, t’es pas bête, j’aurais pas pensé à te le dire. Alors t’as trouvé le bois de Graîlly.

— Très bien. J’ai vu une ferme placée devant à une petite distance de la route de Laon, un chemin la borde, traverse un ruisseau et croise notre direction. Soyez tranquille, j’ai cette topographie dans l’esprit.

— T’es un savant. Que faisait ton père avant la guerre ?

— Il a toujours été à l’armée. Je vous remercie de votre bonté pour moi, Monsieur Mullois ; sans vous je n’aurais pas pu arriver ici. Voulez-vous m’indiquer où il faudra descendre, je voudrais aussi bien vous remettre ce que je vous dois.

— Tu plaisantes. En vérité, penses-tu que je vas te prendre tes pauvres sous pour le plaisir de ta compagnie. Non, écoute, si tu as besoin d’une place, viens, elle est chez nous.

René prit la grosse main de l’honnête homme et la serra cordialement. Son voyage débutait bien.

Un grand silence enveloppait les champs déserts ; pas même un roulement lointain du canon. René dit tout à coup :

— L’espion a parlé d’arbres coupés au travers de la route… faites attention, Monsieur, le cheval qui voit mieux que nous a l’air d’hésiter.

— Qui vive !

La bête s’arrêta net. Un soldat s’était détaché d’un tronc de peuplier avec lequel il faisait corps.

— C’est l’entrée de la zone, dit Mullois au soldat. J’ai un laissez-passer. Et je sais le mot de passe.

— Alors, dites-le.

— Bayard.

— Bon, allez. C’est vous l’épicier, j’étais prévenu vous êtes seul, n’est-ce pas ?