— Alors, ils avancent, ces bandits ?
— On le redoutait au bureau.
René, qui portait sa cuillère à sa bouche, la laissa retomber, une illumination soudaine venait d’éclairer sa pensée, il s’écria :
— Oh ! Mademoiselle, ce doit être un espion qui a coupé le fil… vous êtes sûre qu’il vient de l’être ?
— Certainement. Qu’avez-vous ?
— Voilà. Quand j’ai enlevé les rangs de bouteilles à la cave, j’ai vu une brique descellée, on causait de l’autre côté par le téléphone.
— Un téléphone à la cave ! exclama Mullois.
— Oui, Monsieur, j’ai fort bien entendu, on parlait allemand.
— C’est le voisin ! un Boche, parbleu ! qui se dit Alsacien. Qu’est-ce qu’il disait, tu as compris ?
— La voix de l’homme disait : Je viens de couper le fil télégraphique, il y a une batterie de 75 dans le bois de Grailly ; n’y allez pas, vous serions fauché...
— C’est limpide, le cordonnier est un espion. Viens vite me montrer ça, gamin.
Tous abandonnèrent le souper. En haut de l’escalicr, le père fit : — Chut !...
A pas de loup ils descendirent, la mère tenait la lampe. Une grande anxiété étreignait leurs cœurs.
René alla droit à la cloison, la fente était visible. Ils écoutèrent.. rien.
— Il est parti, fit René, j’ai encore entendu qu’il disait :
— J’y cours.
Mullois était en colère, il donna un grand coup de pied dans la brique qui vola en éclats, il arracha deux autres briques et passant la lampe il regarda :
— Je vois le fil, pardi, un récepteur. Désirée, cours vite à la place et qu’on arrête la canaille.
Il agrandissait le trou :
— Tiens, passe, gamin, va mettre un obstacle quelconque devant la porte par où il vient pour qu’il ne puisse plus rentrer.
Naturellement, René s’empressa, il ramassa à terre un petit morceau de bois, le tailla promptement et le glissa entre la gâche et le loquet de manière à ce que celui-ci ne put se lever sous l’action du levier placé de l’autre côté du battant.
Ceci fait, l’enfant eut une autre idée. Il parlait l’allemand très facilement ; il décrocha le récepteur et, faisant signe à l’épicier qui, le bras passé par le trou, tenait la lampe et regardait :
— Nous allons leur jouer un bon tour, dit-il. Vous comprenez l’allemand ?
— Oui, je te devine.
A l'autre bout du fil on répondait :
— Allo ! Allô ! Vas ist das ?
— Il y a erreur, répondit le garçon grossissant sa voix, les batteries ne sont pas allées au bois de Grailly, vous pouvez l’occuper sans crainte.
Il écouta, reprit :
— Oui, au petit jour, allez-y ; les 75 sont rappliqués ici, la route est libre. Je vous lancerai la fusée du bois si vous pouvez venir sans danger.
Il raccrocha le récepteur, passa dans la cave à Mullois et remonta avec lui.
En haut, dans la cuisine, devant la soupe refroidie, l’épicier prit René dans ses bras et l’embrassa sur les deux joues, tout ému.
— Ah ! bon sang, ce que t’as bien fait de venir chez nous ! Mangeons tout de même ; c’est pas tout, faut partir vite plus que jamais, t’as pas fini ton rôle, mon gosse. Ça urge de prévenir les nôtres à Grailly.