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jusqu’au 12 décembre. Après cette date, ce sera la mort lente et cruelle par la faim.

— Nous y serons avant, mon oncle, fit l’enfant, plein d’ardeur, l’enthousiasme dans les yeux. Sans vous faire aucune question indiscrète, puis-je vous demander qui est cette infortunée qui excite votre compassion et la ause d’une telle injustice ?

Pierre posa sa main sur celle du petit et très doucement avoua :

— Son nom, elle te le dira quand tu l’auras sauvée ; la raison de ce crime, je dois la taire ; mais sache, enfant, les vues de Dieu sont au-dessus de notre compréhension, et pourtant, en cette circonstance, j’aperçois le sillon creusé par nous et que nous devons suivre parce que nul autre que nous n’y est appelé. Je suis convaincu du succès final, le fanal allumé devant nous ce soir va éclairer ta route. René, c’est toi l’élu, le sauveur désigné, attendu. Tu marcheras comme marchait le jeune Tobie guidé par l’ange du Seigneur et tu ne perdras pas la voie.

Le jeune garçon écoutait cette parole mystique, il n’en saisissait pas le sens caché, mais il ressentait la même conviction ; il triompherait des obstacles inouïs accumulés devant lui parce qu’une foi aveugle le transportait. Après un silence, il demanda :

— Mais une fois entrés à Valradour, que ferons-nous ?

— Vous chercherez, ta mère et toi, le moyen de pénétrer dans la cave ; une fois-là, derrière un amas de vieilles futailles, vous découvrirez une porte en chêne massif. Ouvrez-la, elle conduit à un escalier à demi détruit, descendcz-le ; au bas, sont les anciens souterrains qu’habitaient des proscrits pendant la Révolution de 1793. Ces caves, creusées dans le rocher, sont presque au niveau de la Semois.

— Vous connaissez cette prisonnière, oncle Pierre ?

— Non.

— Que lui dirons-nous ?

— De sortir de sa prison ! Valradour et toutes les terres qui en dépendent lui appartiennent.

— Alors, observa Marthe, cette séquestration est le résultat d’un crime ?

Le prêtre ne répondit pas. Il prit dans le portefeuille de Raoul Ravenel une clé qui accompagnait la lettre mystérieuse et la donnant à René :

— Voici la clé de la première cave, j’ai tout lieu de croire que la seconde n’est fermée qu’aux verrous extérieurs. Conserve-la avec grand soin, mon enfant ; quand tu t’en serviras pour ouvrir à la recluse, élève ton âme à Dieu, car il t’aura témoigné sa grande mansuétude.

Sur ces mots, l’abbé Pierre se leva :

— Je rentre chez moi, tâchez de dormir, de prendre un peu de repos ; soyez demain mutin à 8 heures à la gare de l’Est, je vous y attendrai. Songez à quel point notre intervention est pressée, nous avons juste dix-huit jours devant nous. C’est aujourd’hui la Sainte-Cécile, 22 novembre.

Il embrassa la mère et le fils, rentra dans la cuisine pour dire adieu à Juliette et sortit rapidement.

Il pleuvait toujours. Il n’avait pas songé à s’armer d’un parapluie :

— Bah ! se dit-il, ma soutane aura le temps de sécher pendant que je porterai l’uniforme.

Et il revint à pied, l’esprit très loin du chemin parcouru, mais l’automate qui est en nous le menait sûrement sans erreur, à travers l’énorme distance qui sépare la place Malesherbes de la place du Panthéon. Il arriva chez lui trempé vers les 10 heures, ouvrit la porte avec sa clé ; toute la maison dormait, il aviva son feu et se mit en devoir d’arranger ses papiers, de préparer son sac de voyage, puis il pria longtemps, résigné,