Page:Gouraud d’Ablancourt - Le Mystère de Valradour.djvu/23

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il l’étreignît :

— Ma sœur aimée, Dieu nous éprouve ! Mais aussi il nous console ! Pour qu’il me donne une telle mission... c’est donc que je pourrai la remplir ; et alors, que d’actions de grâces !

CHAPITRE VI

A TOI, RENÉ


Marthe ne comprenait pas l’énigme de ces paroles, mais elle songeait anxieusement à son pauvre enfant resté à la maison.

— Viens, dit-elle, mon Pierre. Serait-ce à moi de te donner du courage, j’en ai si peu à partager !

Il se roidit :

— Allons !

Ils traversèrent l’immense place sombre où le vent, qui hurlait autour du Panthéon, les faisait frissonner. Ils devaient marcher jusqu’au métro. Car l’autobus de Courcelles, qui aurait pu les prendre rue Soufflot, n’existe plus. Ils suivirent les rues silencieuses du vieux quartier du Luxembourg et descendirent jusqu’à l’Odéon pour s’engouffrer dans la station du boulevard Saint-Germain.

L’abbé Pierre se laissait conduire, il n’arrivait pas à détacher sa pensée de la révélation qu’il venait de lire. Il se disait :

— Il faut partir ce soir même, il faut aller à Valradour, il faut délivrer Isabelle.

Il évoquait la vue de cette infortunée torturée de faim, de froid, couchée au bord de la petite source, au fond du souterrain, et il oubliait si bien le lieu où il était, que sa sœur dut le tirer par le bras quand il fallut changer de ligne à la gare Saint-Lazare pour aller enfin sortir du train place Malesherbes. Une cinglée de pluie leur fouetta le visage en haut des marches et ils furent obligés de courir à travers le boulevard, dont les arbres dénudés n’étaient plus un abri. Ils entrèrent essoufilés dans leur courte rue sombre. En passant devant la loge, ils eurent un sympathique et triste regard de la concierge, puis ce fut Juliette qui ouvrit la porte en sanglotant :

— René ? interrogea la mère anxieuse.

— Il travaille comme d’habitude dans la salle à manger, je ne lui ai rien dit, vous pensez, mais il n’est pas tranquille, le pauvre mignon...

L’enfant accourait :

— Maman ! mon oncle ! qu’est-ce qu’il y a ?

Il regardait les deux visages bouleversés et il se jeta au cou de sa mère en criant :

— Papa ! Il y a de mauvaises nouvelles de papa !

— Mon cher petit, dit le prêtre, ton père est un héros dont nous sommes fiers.

— Il est tué !

— Peut-être n’est-il que gravement blessé et prisonnier.

René chancela. Son oncle le prit contre son cœur :

— Mon enfant, mon René, sois homme, toi si chrétien ! tu ne peux manquer de courage ; si tu savais à quelle mission je vais te demander de te consacrer.

— Oh ! je ne redoute rien, mon oncle ; ce que je veux, c’est venger mon père ! J’irai m’engager dès demain.

— On ne prend pas un enfant de quatorze ans au régiment, le rôle