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Il resta longtemps étendu sur le sol, incapable d’un mouvement. Au-dessus de lui, il voyait les étoiles, de son cœur une ardente joie montait. Mousson, exténué de fatigue, dormait auprès de son maître.

Le roulement du canon continuait plus lointain, la tranchée bouleversée était déserte. L’officier, après un long repos, se crut assez fort pour remonter dans le champ. La nuit glacée, brumeuse, s’étendait sur l’immense plaine, aucun être humain ne paraissait plus, la ruée à la mort avait passé…

Ravenel frissonnait, il avait faim, il avait froid ; ses habits humides le glaçaient.

Où aller ? Ne voyant rien, il avait peur de se jeter au-devant de l’ennemi. Il fallait attendre le jour. Si seulement il trouvait un abri !

À travers le brouillard, une masse confuse se projetait, plus sombre.

— Un arbre ! Allons sous ses branches, elles nous garantiront du vent. Il disait « nous », la main posée sur la tête de Mousson, il buttait dans des choses molles, des corps, hélas !… Il buttait aussi dans des éclats d’obus, des fusils… Une fois parvenu au précaire asile, le chien se dressa sur ses pattes contre le tronc, il aboyait doucement, comme pour appeler un ami. Alors, d’en haut, une voix cria :

— Qui va là ?

— Moi, Stofflet, votre capitaine. Continent, mon pauvre brave, vous êtes encore en haut ?

— C’est la consigne, mon capitaine.

— Descendez vite, vous devez être glacé.

— Ah ! oui, glacé jusqu’aux os ! Mais nous avons repris la position, mon capitaine, et ça réchauffe le cœur. Sans vous commander, mon capitaine, qu’est-ce que vous faites là ?

— Je cherche à me garer du vent… Sans notre bon Mousson, j’étais enterré vivant dans la tranchée, qui s’est écroulée sur moi. Où sont les nôtres ?

— Ben sûr, ils ont passé la Seille ; je les ai perdus de vue dans le brouillard ; mais j’en suis certain, nous avons l’avantage.

— Croyez-vous que nous puissions nous orienter et rejoindre notre compagnie ?

— Notre compagnie ! pour ce qu’il en reste… Mais essayons de nous rapprocher, mon capitaine ; je connais le pays, j’y suis né.

Tout en parlant, le caporal était descendu de branche en branche, et maintenant il serrait cordialement la main de son chef :

— Allons donc, mon ami, on mourrait de froid ici.

Les deux hommes se mirent en route, précédés du bon chien, qui cherchait la piste de leur compagnie. Seulement, tant de cadavres égaraient la marche ! C’était une odeur chaude de sang, et des fois une plainte… apportée par la brise.

Le lever de la lune éclaircit le nuage, un souffle plus fort le balaya rapidement, et alors les nocturnes voyageurs aperçurent l’aspect des choses.

À droite, la rivière bordée en aval d’une masse sombre de sapins ; par delà les collines et très loin au fond, juste sous le croissant paisible, les tours de la cathédrale de Metz.

En l’air, un aviatik évoluait, il aperçut les deux silhouettes dressées dans la grande plaine. Une bombe tomba du ciel… de ce ciel clément où toujours l’homme meurtri lève des yeux suppliants pour demander une protection… La chose énorme, dans un bruit éclatant, lança une gerbe de flammes, et puis tout s’éteignit,