Page:Gouraud d’Ablancourt - Le Mystère de Valradour.djvu/11

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Je n’ai pas qualité pour cela. Confessez-vous à Dieu, qui vous absoudra. Je vais prier avec vous.

— Non, vous dis-je, non. Il faut réparer… Je vous confierai mon crime… et alors peut-être pourrez-vous l’effacer…

— Je ne puis rien par moi-même… Seulement, jetez-vous en esprit au pied de la croix, le Rédempteur mourut pour nous tous.

— J’avais le pressentiment de la mort. J’ai tout fait pour ne pas me battre, mais la dernière circulaire du général Galliéni m’a débusqué. Ce matin, avant l’attaque, j’ai écrit ma confession… Prenez-la dans ma poche, et donnez-la au premier prêtre que vous rencontrerez ; qu’il la lise et m’absolve. Je serai mort… Mais l’acte ne saurait-il être, dans de telles circonstances, rétrospectif ?…

— Je ferai ce que vous souhaitez… Dieu est puissant et miséricordieux, offrez-lui vos souffrances, acceptez la mort en expiation. Vous savez que saint Thomas d’Aquin, le Docteur angélique, dit que « seront sauvés tous ceux qui se soumettent à la volonté divine à leur dernière heure et acceptent la mort quand et comment il plaira à Dieu de la leur envoyer »[1]

— Mon crime à moi continue toujours… Ma victime, si on ne la secourt, sera morte avant un mois… Enterrée vivante, elle aussi…

— Dites, dites vite, et si je me sauve, je vous jure de courir à son secours, d’accomplir votre dernier vœu, de libérer votre âme de son épouvante…

— Prenez la lettre à gauche, sous mon dolman.

Ravenel défit quelques boutons, sortit un portefeuille d’une poche intérieure. L’enseveli haletait ; sa poitrine, à demi broyée, ne permettait guère le jeu des poumons. La main de l’officier reparut rouge avec l’objet…

— Où faudra-t-il aller, mon pauvre camarade ?

— Elle va agoniser de faim, de froid, de misère, et c’est moi qui…

— Mais vous dites, elle, qui ? ou aller la secourir ?

— À Valrad…

Le bois du haut venait de s’abattre, et l’amas de terre recouvrit le blessé, éteignant du même coup la lampe du capitaine, qui tomba parmi les débris. Raoul Ravenel avait été jeté sur les genoux. D’un grand effort, il parvint à se relever, il étendit les mains de chaque côté et sentit la paroi de terre. Au-dessus de sa tête, en levant le bras, il rencontrait des fragments de boisage fléchissants…

— Moi aussi, je vais mourir enterré vivant,. Marthe ! René ! mes chéris ! s’écria-t-il.

Un jappement l’interrompit. Il prêta l’oreille. Derrière lui, il entendait gratter avec ardeur.

— Mousson ! C’est Mousson !

Un aboi joyeux répondit.

Alors, Ravenel, réconforté, se mit à enlever la terre à la rencontre du chien. Il étouffait, ses tempes battaient lourdement, il avait à peine la place de se mouvoir, mais l’ardeur du brave animal l’encourageait. À un moment, il fut si épuisé qu’il dut interrompre son travail… mais Mousson continuait, lui ! et, avec ses pattes, dégageait l’entrée.

Bientôt, il filtra une lueur et de l’air. Il était temps, le malheureux soldat succombait à l’asphyxie. Mousson avait pu se glisser par l’orifice, il léchait le visage de son maître, il le tirait au jour.

Alors, rampant, brisé, sanglant, l’officier réussit à s’arracher du tombeau.

  1. Texte exact.