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çaient parmi les groupes d’invités qui circulaient, causaient, empressés à se reconnaître, à se retrouver en le milieu de haute élégance où la frontière, si proche, permet les réunions de Français et de Belges.

Dans la vaste salle à manger, une grande table couverte de choses alléchantes offrait ses tentations ; des maîtres d’hôtel servaient avec empressement et chacun, venu de près ou de loin, faisait honneur au goûter. Gislain de Runkerque était sans cesse arrêté par des saluts, des mains tendues ; il fréquentait toute la région. Il nommait le colonel Loisel et se dégageait pour retomber dans un autre groupe.

— Venez, mon cher ; je pense que nous découvrirons nos jeunes amis là-bas où l’on danse, j’entends la musique ; traversons le billard, le grand et le petit salon, c’est dans la salle des Gardes qu’on saute.

En effet, Renaud valsait avec sa femme (à cette époque, on n’avait pas encore inventé les danses nègres) au son d’un orchestre installé dans la tour d’angle. Beaucoup de couples se livraient au même plaisir ; d’autres passaient en causant, en admirant la galerie de tableaux qui représentait la chronologie de la famille de Val d’Ombre.

— Allons dans la bibliothèque, proposa le Belge ; il y a des merveilles, d’anciens manuscrits écrits en flamand. Voyez-vous au fond ce panneau entièrement peint, il représente un illustre ancêtre, le sire de Lannoy.

— Ah ! comme c’est curieux, on dirait le roi François Ier au second plan.

— C’est lui. Ce personnage à qui le roi tend son épée et qui l’accepte à genoux est Lannoy.

— Parfaitement. Le roi vaincu, prisonnier ; mais pourquoi ce rappel de Pavie, ici ?

— Lannoy est le très arrière-grand-oncle de nos amis, il possédait le château des Amerois dont vous voyez à droite un dessin. Cette superbe résidence est près de nous, son parc affleure la Semois.

— Je le connais. Cette propriété appartient au comte de Flandre.

— Oui ; mais, avant, elle appartenait aux Lannoy. En ce temps-là, l’habitation était enveloppée de bois où les loups et les sangliers étaient chez eux. C’était si sauvage que la jeune comtesse du Miniel qui y vint en voyage de noces, n’y voulut jamais demeurer. Toute la nuit, les chouettes, les chats-huants lui donnaient