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— Voici deux lettres, Madame la Duchesse, et le journai, fit Odyle en rentrant.

— Ah ! deux lettres, voyons qui a pensé à moi. Donne-moi la loupe, ma fille ; avec leurs plumes de fer, les écrivains du jour tracent des pattes de mouche. Pas commode d’ouvrir ces enveloppes collées d’un bout à l’autre ; un joli pain à cacheter était bien plus élégant quand on ne voulait pas mettre son blason sur la cire. Ou’est-ce que cela ?

« Ma grande amie

Armande et moi, avant de partir, serions tellement heureux de vous avoir à dîner avec nous à midi, mardi prochain. Nous prions aussi les d’Ablancourt et les Fénestrange, Gislain de Runkerque et le colonel Loisel. Un tout petit groupe, vous voyez. J’ai de bonnes nouvelles de maman et de mon frère. Ils écrivent de Toulousou et vont aller prendre, à Lyon, la ligne d’Italie, via Turin.

« Veuillez agréer, notre grande amie, l’hommage respectueux et le rappel du tendre attachement de votre fidèle

« Renaud de VAL D’OMBRE. ».

— Bon, j’irai. Odyle, tu prépareras, pour mardi, ma robe en broché garnie d’hermine, mon col et mes manchettes en point à l’aiguille et ma coiffure à la branche d’héliotrope. Que raconte l’autre missive ?

« Madame la Duchesse,

« La présente est pour vous dire comme que je suis malheureux ; vous qu’êtes ben aimable pour ceux du pays je m’attends que ce sera un effet de votre bonté de m’envoyer un petit pécule. On crève la faim au régiment, pas. seulement trois repas par jour ! Faut vous rappeler de moi que je suis le gars à la mère Trinquart à qui vous aviez donné un logis et un jardin, rapport qu’elle était veuve et pas robuste pour gagner sa vie. La pauv’vieille peut rien me faire ; alors vous, Madame la Duchesse, qu’êtes riche, vous aboulerez ben