Page:Gouraud d’Ablancourt - La Route perdue, 1930.djvu/17

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ardennes et Armande en bergère, avec sa couronne de myrthes et de pâquerettes. Nous allons détonner dans le tableau mère. Toi en soie mauve et moi en smoking. O anachronisme !

Les jeunes gens arrivaient souriants en dansant un pas léger, fantaisiste, de leur invention.

— Stop ! cria Roc-Marie ; une minute, je prends une photographie.

— Madame la Marquise est servie ! annonçait le maître d’hôtel.


III

LE MANOIR D'HERICOURT

La douairière d’Héricourt, Marie-Hermine, assise dans une vaste stalle de chêne sculpté, dont le siège et le dossier étaient ornés de coussins de soie brodés à ses armes, regardait par la fenêtre à petits carreaux cerclés de plomb le facteur qui arrivait, juché sur sa bicyclette, dans l’avenue.

— Voilà le « piéton », dit-elle, employant l’ancienne locution qui désignait ainsi le porteur de lettres ; il est encore grimpé sur son espèce de machine à roues. Odyle va me chercher la gazette.

La camériste se leva aussitôt, quittant sa broderie qu’elle déposa dans la corbeille emplie de laines variées où déjà la chatte avait trouvé doux de s’installer. Elle n’eut garde de la déranger et sortit au pas menu d’une vieille servante née dans la maison, habituée aux anciennes coutumes.

II faisait un vent d’est qui courbait les cimes des hauts cèdres ; de gros merles, les plumes hérissées cherchaient quelques graines sur la pelouse et s’enlevaient au passage de l’homme en lançant leur cri aigu pour aller s’abriter dans les massifs.

Le printemps est tardif, songea la vieille dame ; mes voisins vont avancer leur départ pour Paris et je n’aurai bientôt plus grand monde à mes jeudis, avec cette manie qu’on a d’imiter les Anglais et de quitter la campagne pour la « season ». Ma vie devient austère ; c’est ennuyeux de n’avoir plus que de jeunes châtelains à voir autour de moi ; mes contemporains battent déjà le rappel, là-haut...