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celle qu’il aimait, il y mit un chaud baiser. Les serviteurs fermaient les salons.

— Mais où sont donc nos tourtereaux ? fit Pauline.

— J’ai vu M. le Marquis et Mme la Marquise sortir de la serre, répondit Gudule, la femme de chambre qui passait et avait entendu le propos. Il entrelaçait une couronne.

— Pour sa bien-aimée, approuva Roc ; tous les soirs il lui en offre une fraîche pour le dîner. C’est beau, l’amour !

— Il est à la portée de tous les jeunes gens, mon fils.

— Tous les amours... on en compte bien des variétés, mère ; depuis l’amour divin au premier degré de l’échelle jusqu’à l’amour de soi au dernier. Quel jour partons-nous ?

— Le temps de préparer mon absence, mon petit ; elle sera peut-être assez longue ; et puis, quitter ton frère si vite.

— Oh ! mère, ne crois-tu pas que le ménage se suffit. .. Je pense même qu’il sera ravi du tête-à-tête. A présent, d’ailleurs, nous ne sommes plus chez nous ; le Val d’Ombre est à mon aîné.

— Tu sais combien ton frère t’aime.

— Je le sais. Mais, en résumé, c’est la loi : Renaud a le titre et le château héréditaire, les fermes, bois, près, étangs, comme nous l’a lu le notaire au contrat. .

— Mais tu n’es pas jaloux... Ta résolution d’entrer au séminaire français, à Rome, n’en est pas une conséquence ? ...

— Ma résolution vient de mon cœur, mère ; elle part d’une vocation que je crois irrésistible. Seulement, je ne voudrais pas te voir te dépouiller par le partage de ta fortune que tu as voulu.

— J’ai gardé encore plus qu’il ne me faut. Je n’ai jamais apprécié le Val d’Ombre, j’y ai vécu avec ton père : deux ou trois mois seulement après notre mariage, puis il fut nommé en Algérie... Hélas ! le soleil brûlant me l’a tué. Alors je suis revenue en Bretagne, à Ker-Menhir, où tu es né, où vingt-deux ans plus tôt j’étais, moi aussi, entrée dans la vie. Ce modeste chalet est mon bien personnel, je te l’ai donné... J’y attendrai l’heure du grand départ. Ce sera ton asile, mon enfant. Si Dieu permet que tu suives la voie apostolique, il existera des temps de repos où je t’au¬