Page:Gouraud - Dieu et patrie, paru dans La Croix, 1897.djvu/8

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ne plus compter sans cesse l’argent à peine suffisant au nécessaire comme autrefois. Elle avait à pleines mains puisé dans la bourse commune que jamais son mari ne lui fermait.

Lui, par un accès de délicatesse mal comprise, craignant de la froisser s’il lui marchandait quoi que ce soit, craignant qu’elle ne crût qu’il songeait à sa pauvreté, à son manque de part apporté au ménage, laissait aller les choses en un train bien au-dessus de leurs ressources. Le courage lui manquait. Alors il s’étourdit, emprunta, vendit mal et, finalement, au jour même de l’arrivée en ce monde de son bébé, attendu et adoré, il se trouva à la veille de la faillite.

La marquise vint pour recevoir l’enfant, lui donner un baiser et une bénédiction. Depuis longtemps elle rêvait de ce voyage ; depuis longtemps, elle mettait en réserve, dans une tirelire, de petites économies à grand peine accumulées, afin de pouvoir offrir quelque chose à sa fille et payer son propre voyage à Paris.

Tout de suite elle vit l’intérieur de luxe désordonné, le gaspillage des gens de service ; elle eut un serrement de cœur et, prenant le bébé sur ses genoux, elle appela Pierre.

« Vous songez à votre enfant, mon fils, dit-elle sérieusement ; vous devez préparer son avenir, lui assurer l’aisance, n’est-ce pas ?

— Oui, fit Pierre embarrassé, oui, j’y songe, et ce m’est cruel parfois, car je la voudrais heureuse et comblée, ma fille bien-aimée, ma petite Michelle.

— Ne rêvez pas, Pierre ; trop de richesse encombre la vie ; ce qu’il faut, c’est la dignité de l’existence, à laquelle contribue l’argent ; ce qu’il faut encore essayer d’avoir, c’est la possibilité de faire du bien. Êtes-vous certain que votre budget est sagement ordonné ? »