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II


Jane se laissait fort bien gâter par son mari. Il avait loué pour elle un joli appartement boulevard de la Villette, à proximité des abattoirs où son commerce l’appelait chaque jour. Il parait sa femme à plaisir, achetant sans jamais le trouver trop cher, le bibelot de prix que les yeux de Jane avaient caressé avec une pensée d’envie.

Leur vie était bonne, leur dimanche bien rempli. Après la messe, ils allaient visiter la grande capitale qu’ils ignoraient, ils dînaient hors de chez eux, souvent aux environs, et ils rentraient las, mais ravis de leur journée.

Cette existence dura six mois, puis un jour, comme une traite arrivait et que l’encaisseur, son portefeuille ouvert, son bicorne sur l’oreille attendait, Pierre fouilla nerveusement dans son secrétaire et, le sourcil froncé, la voix altérée, dit :

« Je ne suis pas en mesure, demain, avant midi, je passerai à votre banque. »

L’homme indifférent referma sa sacoche, porta la main à son chapeau et s’en alla, tandis que Pierre s’effondrait sur son fauteuil de cuir, le front barré d’une grande ride.

Il resta ainsi absorbé en d’inquiétants calculs jusqu’au déjeuner, où il retrouva son sourire en face de sa femme, qui lui parlait gaiement de la joie de sa maternité prochaine et lui montrait la jolie layette qu’elle brodait finement.