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— Je suis moi-même, Madame, cousin des Walstein. »

Un éclair de joie brilla dans les yeux ternes de la vieille marquise. Elle se retrouvait donc dans son monde. Elle allait pouvoir parler blason et généalogie. Ah ! sa famille allait de pair avec les rois : aux croisades, un de Caragny combattait près de saint Louis. Un autre avait suivi Jeanne d’Arc au sacre de Charles VII. Le vicomte, son beau-frère, avait porté sa tête sur l’échafaud en 1793. Et de son côté à elle, quelle lignée pure : les Kernavalo, les hardis marins, toujours en lutte avec les Anglais, les héros bretons royalistes et chrétiens, qui avaient tous versé leur sang pour Dieu et pour le roi. Elle montrait sur une large chevalière leur écu symbolique : une barque de sable sur champ d’azur avec au chef une étoile d’or.

La soirée s’achevait paisible, nul ne la trouvait longue. Et personne même ne songeait à observer si la marée rendait le passage possible. La douairière et le comte Hartfeld avaient retrouvé des relations communes dans le coin au souvenir, et la vieille marquise, rajeunie, joyeuse, parlait, s’animait, comme jadis, au beau temps, où elle brillait à la cour.

Michelle, d’abord intéressée, avait fini par appuyer sa tête au dossier de sa chaise ; malgré elle, ses paupières avaient glissé sur ses yeux ; l’invincible lassitude de sa journée de travail actif, venait vaincre la volonté, réclamer son droit au repos. À présent, le souffle égal qui passait entre ses lèvres exhalait le calme du rêve.

Les trois causeurs échangèrent un sourire en regardant l’enfant, et comme Mme Carlet avait un geste pour éveiller sa fille, le comte la prévint.

« Non, par grâce, laissez au bon sommeil