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mace pour deux raisons : courir et rendre cette jolie pièce, dont elle avait si grand besoin, et elle hésitait, combattue entre son honnêteté et son désir.

Pendant ce temps, la marquise passait la carte, que ses yeux ne pouvaient lire, à sa fille, et celle-ci lisait tout haut :

« Comte Hans Harfeld, colonel aux cuirassiers blancs. »

« Un Allemand, » remarqua la marquise. Ce titre, à l’époque où nous sommes, ne soulevait pas encore d’antipathie primesautière.

Cependant, Rosalie avait gagné la poterne ; là, elle appelait, et bientôt la haute silhouette de l’inconnu se dessina dans le carré de ciel découpé par la porte ouverte. Il revenait vers le château, précédé de la servante et celle-ci, riante et presque alerte, s’écriait sur le seuil :

« Savez-vous, Madame la marquise, il ne s’est pas du tout trompé, pas du tout, c’était pour moi le louis ! Et à présent voilà-t-il pas que c’est la grande marée ce soir, que le passage est tout couvert d’eau et que pour rentrer chez lui il va falloir qu’il fasse trois lieues ou attendre quatre heures sur l’îlot.

— En effet, c’est la grande marée d’équinoxe : si pauvres que nous soyons, refuser l’hospitalité à ce voyageur que la Providence oblige à rester notre hôte, serait inadmissible ; prie-le d’entrer, ma fille. »

Mme Carlet s’empressa de bonne grâce, une distraction quelconque la sortant d’elle-même était toujours la bienvenue.

« Veuillez partager notre très modeste souper, Monsieur, dit-elle, vous êtes prisonnier, le menu sera en rapport avec la situation. »

Le comte entra sans se faire prier, un sourire éclairait sa physionomie.

« Vraiment, Madame, je suis indiscret, et