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il réinstalla ses engins et, comme le vent, fraîchissait secouant la bisquine[1], le matelot prit deux ris, cargua la misaine et l’on fila lestement vers la passe.

En vingt minutes, on fut à la cale du grand Bay, Michelle prit sa course sur la jetée glissante qui relie l’îlot à la terre ferme. Seule, la petite Mouette trottait lestement ; jamais accompagnée, par suite de la pénurie des serviteurs, elle vivait libre, et ce n’était pas trop étrange sur cette côte fréquentée par les Anglais.

Elle traversa la ville forte aux rues étroites et pittoresques, elle ressortit par la porte Saint-Vincent et, tout d’une haleine, se hâta vers la gare. À cette époque, les tramways bretons n’existaient pas encore. Dinard, née des fantaisies étrangères, n’avaient pas la vogue d’aujourd’hui, quelques omnibus seulement assuraient le service des trains.

Michelle, dont les poches étaient remplies de coquillages et dont la petite bourse ne contenait qu’un chapelet, dut se contenter de ses jambes pour se rendre à la sortie des voyageurs. Un gros embarras venait à sa pensée maintenant. Cette mère allait-elle la reconnaître ? La devinerait-elle facilement ? Son cœur la guiderait-il sans erreur ? on parlait toujours au couvent de la voix du sang, allait-elle savoir la comprendre ?

Le sifflet de la locomotive, le bruit, le jet de vapeur empourprèrent les joues de la fillette ; elle se précipita sur le quai, anxieuse.

C’était la saison des bains, beaucoup de gens descendaient à Saint-Malo. Et voilà que tout à coup, Michelle tressaillit : une femme, aux traits fatigués, à la toilette fanée mais prétentieuse, semblait chercher autour d’elle.

  1. Gréement de barque.