boyards qu’ils sont, ils ont acheté tout le terrain au-dessus de la Goule aux fées, et y ont fait bâtir ce superbe chalet.
— Aujourd’hui, j’ai vu un des habitants.
— Un ! Il y en a dix, sept domestiques et trois maîtres. Les deux Russes, le mari et la femme, et un des leurs parents, qui est Allemand. Celui-ci se promenait ce matin dans la passe avec mon camarade Yvenc qui menait le bateau. Il avait un appareil photographique et il a pris des vues de votre Roche-aux-Mouettes.
— Ah ! fit Michelle, comment sais-tu tout cela ?
— Ma femme a vendu à la cuisinière mon magnifique turbot d’hier, et Minihec a couru porter le courrier des princes à la poste de Dinard.
— Des princes !
— Pour sûr, des princes ! et pas regardants, la main toujours ouverte ; mon gars a eu un joli pourboire, même qu’il s’en est acheté des souliers. »
La fillette ouvrait des yeux admiratifs, et le personnage rencontré le matin prenait dans son esprit des proportions légendaires.
Un homme qui répandait l’or en pluie, achetait des turbots de dix livres, était prince ; un homme qui arrivait en yacht, d’un monde inconnu ! En sa naïveté, elle pensait au chevalier du Cygne dont l’image était peinte sur un morceau de musique que jouait une élève au couvent.
Et elle ne parla plus guère ; la main pendante hors la barque, elle saisissait, distraite, les brins longs et gluants des goémons roux.
Lahoul releva ses casiers entre Cézembre et la Conchée, il jeta au fond de la cale des homards bleus et des langoustes violacées,