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que voulaient dire ces réminiscences ? Il lui en venait ce matin comme aux moribonds qui repassent leur carrière avant de terminer.

Cependant, elle n’était pas si vieille encore, et puis elle était utile.

Utile ?… À quoi donc ? Frida se mariait dans quelques mois, Henri avait une mère. Wilhem ? Oui, Wilhem, le diamant de sa couronne celui-là, Hans ressuscité, l’enfant de son cœur ? Sans elle, qui ferait son nid, qui lui garderait Rantzein en bonne tenue ? Mais si, elle était utile ; on ne part pas encore à soixante-dix ans.

Et ce qu’elle venait de faire donc ? Quand Henri le saurait, comme il accourrait vers elle, les bras ouverts :

« Tante tu m’as sauvé ! » Et, dans cet élan reconnaissant, elle passerait avant la mère…

Vers la soirée, un courrier de Wilhem arriva ; il portait une lettre.

« Chère tante, nous quittons la frontière ; les manœuvres se terminent demain par une revue générale ; après j’ai un long congé, je le passerai près de toi et m’occuperai de régler toutes choses au sujet de Frida. Chère tante, je t’embrasse de tout cœur.

Wilhem. »

Cher enfant, comme il aimait sa vieille tante, comme il était heureux de passer près d’elle son congé. Il voulait rester à Rantzein, son berceau : quel cœur noble et juste il avait ! Quand elle lui conterait l’histoire du fusil, que penserait-il ? Aurait-il la même idée qu’elle ? Son frère passera-t-il avant son pays ? Ma foi, elle ne dirait peut-être rien, le secret entre elle et Henri serait un attrait de plus.

Alors, dans sa joie, elle se crut guérie. Edvig, à la suite de cette nuit terrible, où elle avait forcé la nature par la volonté, retrouva une période de santé. Elle rentra vaillante à Rantzein pour y recevoir Wilhem.