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en deux, si courbée, que, de loin, sous sa mante noire, elle avait l’air d’un animal fantastique courant les nuits vers le sabbat. Au bout du pont, c’était la France. Un soldat était là. Elle l’interpella :

« Vous connaissez le caporal Henri Hartfeld ?

— Ah ! s’écria le soldat d’une voix joyeuse, vous avez trouvé son fusil ?

— Le voilà. Qui êtes-vous ?

— Son ami, son frère.

— François ?

— Oui.

— Il m’avait parlé de vous. Alors, courez, il est jour à présent ; si vite que je sois allée, j’ai dû mettre plus de deux heures.

— Dieu vous bénisse ! » s’écria François les yeux pleins de larmes, et il s’élança.

Il fit le tour du bivouac, erra, fouillant les taillis, appelant ; on allait lever le camp, partir vers le Nord ; il piétinait d’impatience ; que faisait le malheureux ? Allait-il aggraver son affaire, tout détruire à présent par une désertion ? Des sonneries s’entendaient aux environs ; le bataillon prenait le café, les troupiers, transis, tapaient des pieds, s’astiquant, brossant, et, tout à coup, le soleil parut, enlevant les brumes. Le plateau fut illuminé comme pour une féerie, les faisceaux de fusils étincelaient. De l’autre côté de la rivière, le spectacle était le même sur la hauteur, l’uniforme seul différait ; tandis que, sous les vignes, en bas, le nuage restait, enveloppant l’eau, les barques ; c’était comme un inconnu de mystère, ce gouffre de vapeurs où les bruits s’étouffaient.