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brume épaisse. Il voyait des ombres courir en tous sens, préparant la soupe, pliant les tentes, et il se mit à penser à Wilhem, tranquille, donnant ses ordres au camp ; à Frida, dormant dans sa chambre ; à sa mère, étendue au fond de sa roulotte ; au prince Rosaroff, à Rita. Ce fut un défilé devant ses yeux appesantis, une sorte de procession de souvenirs ; puis, comme il arrivait à la lisière du bois, des voix frappèrent ses oreilles, des commandements ; il reconnaissait l’organe du commandant ; des choses confuses sifflaient à ses oreilles ; il croyait entendre passer des balles, voir voler des bêtes étranges, sentir onduler la terre en vagues sous ses pieds, et il finit par s’écrouler sur l’herbe froide couverte de gelée blanche, et il y resta étendu sans mouvements et sans pensées.

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Après le départ de son neveu, Edvig s’était péniblement levée pour fermer la fenêtre, et, en revenant s’asseoir, elle avait aperçu dans un coin, accrochant sur sa baïonnette des étincelles de lumière, le fusil français. D’abord surprise, elle avait ensuite regardé l’arme. Un effarement était venu. Quoi ! il avait oublié son fusil ! Une arme que les Allemands cherchaient à connaître, un mystère qu’ils voulaient sonder… une chance de plus à leur actif, un atout dans leur jeu, cette trouvaille. La belle affaire, en vérité ; elle possédait là, chez elle, en Allemagne, un fusil à répétition destiné à lancer la poudre sans fumée avec un mécanisme perfectionné. C’est Wilhem qui serait content ! Elle allait lui envoyer un courrier dès le lendemain matin.

Elle caressait le fusil, le retournait, neuf, brillant, soigneusement astiqué, léger ; vraiment un bel outil de mort.

Edvig commença sa toilette de nuit, les