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les apprécier ; en ville et ici, il y aurait lutte. Souvent, c’est ainsi dans le monde, à l’inverse de la nature, où l’hérédité s’arrange autrement. Les oiseaux chassent du nid leurs petits quand ils volent seuls et libres, l’univers est à eux, rien du passé ne demeure.

— Moi, reprit Frida, je me trouve maîtresse de mes actes, n’ayant, par le fait, ni père, ni mère, puisque tu es installée loin de nous. Or, je veux épouser Vasili Ogaref, un ami d’école de mon frère.

— Que dis-tu, ma fille, tu as seize ans !

— Tu t’es bien mariée à cet âge, toi, ma mère.

— Ma situation était loin de ressembler à la tienne.

— Justement, je ne me marierai pas par nécessité.

— Frida ! interrompit Wilhem, tandis que des larmes venaient aux yeux de Michelle ; la jeune fille reprit :

— Moi, je m’ennuie ici : on ne sort plus, depuis que tante est souffrante ; Wilhem n’est jamais là qu’à de rares congés ; je suis bien seule sans cesse avec des inférieurs, mes chevaux et mes chiens. Le jeune homme qui me demande en mariage est bon, riche, noble. Il a parlé à tante qui l’a refusé, moi, je l’accepte ; je te prie, maman, de le dire à Mlle Hartfeld.

— Mais encore devrais-je connaître, ma fille, ce fiancé que, sans conseil, tu accueilles.

— À quoi bon ! Je me marie pour moi. Chez toi, en France, ce sont les parents qui marient leurs enfants ; chez moi, en Allemagne, ce sont les enfants qui s’arrangent entre eux, se parlent de leurs projets et les rejettent ou les adoptent selon leur penchant.