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sœurs étaient assises, vous avez achevé l’œuvre de division en mettant ainsi dans les rangs de deux armées différentes deux frères. Je ne veux pas récriminer ni reparler d’anciennes choses douloureuses, je dis seulement, pour l’acquit de ma conscience, ce que je pense une dernière fois. »

Michelle, silencieuse, regardait la flamme qui rougissait son joli visage songeur et elle rêvait encore, rebâtissant un autre arrangement d’existence si Hans avait vécu. Une sorte d’angoisse l’étreignait en entendant des paroles qui, à tout prendre, avaient un fond de logique. Son patriotisme, son amour maternel auraient-ils nui au bonheur des siens ? Elle ne le savait plus et, sans répondre, elle regardait cette grande femme austère, la terreur de sa jeunesse.

Edvig avait beaucoup vieilli. Cassée, rhumatisante, elle supportait ses misères physiques avec une absolue bravoure, avec un courage égal à celui de son frère dont, en son cœur, elle conservait le culte. À présent, silencieuse, elle regardait son neveu Wilhem qui, par hasard, se trouvait debout sous le portrait en pied du général, causant avec Henri près du piano devant lequel Frida était assise.

Michelle tressaillit.

Ce tableau représentait Hans âgé de vingt-cinq ans, au sortir de l’École militaire. Wilhem, à vingt-trois ans, revêtu d’un uniforme à peu près identique, semblait l’original de ce tableau. Grand, large, avec les cheveux blonds, coupés en brosse, les yeux bleu foncé, fermes et souvent tendres, c’était un type parfait de la race germanique, tandis qu’Henri offrait le charme de sa mère, sa vivacité, son enjouement. L’éducation parisienne avait achevé de le franciser.