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des Hartfeld. En conséquence, je déménageai l’hôtel de Berlin. Je voulais moi-même mettre en ordre les objets ayant appartenu à mon bien-aimé frère. Et quand tout fut emballé, parti, je revins seule dans ce cabinet de travail, témoin d’un si horrible scène. La pièce était vide, la place des meubles enlevée marquait sur le tapis, et je vis dans le rectangle dessiné par un bahut ancien, de petits papiers blancs. Je reconnus les cocottes avec lesquelles notre Frida jouait la veille du jour néfaste. Je me baissai pour recueillir encore ce triste souvenir. Alors, sur ce papier, un mot frappa mes regards, une stupeur inouïe le figea sur place. Je dépliai la feuille non déchirée, mais seulement chiffonnée, et je découvris…

— La pièce que je devais avoir volée.

— Précisément.

— Je renonce à vous peindre l’état de mon âme.

— Votre remords ?

— Non, pas encore, Michelle, je dois à la vérité de m’accuser. Je pensai que mon pauvre frère vivrait encore si cette fatale lettre avait été trouvée à temps, et je n’eus qu’une idée : la rendre au dossier auquel elle appartenait. Je courus au palais impérial, je sollicitai d’urgence une audience. Le kronprinz me reçut.

J’étais tellement troublée que je ne savais plus m’exprimer ; mais le prince, avec cette bonté que tout le monde s’accorde à lui reconnaître, me prit des mains la maudite pièce. Comme vous tout à l’heure il s’écria : « Dieu soit loué ! » Et après un silence il dit, m’ouvrant enfin les yeux :