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pas pour si peu. Henri courut la prendre et revint joyeux : « Oh ! mère, c’est l’écriture de Wilhem ! »

Michelle tressaillit, saisit l’enveloppe, lut la suscription :

« Monsieur Heinrich Hartfeld, aux soins de Mme Carlet, rue de Vaugirard, couvent des Auxiliatrices, Paris. (Voir au dos.) »

Et là, Mme Carlet avait ajouté : rue Demours, 10 bis.

La mère et le fils fermèrent leur porte et s’assirent l’un près de l’autre, saisis d’une indescriptible émotion. Henri, enfin, lut tout haut, pendant que Michelle suivait attentivement chaque ligne :

« Mon cher petit frère, je profite de la liberté que me donne la vie de collège (!) (pour moi, c’est la liberté) pour t’écrire. Ici, je souffre moins que seul et errant dans cette grande cage cadenassée qu’est notre maison. Depuis ta fugue, je ne sors que suivi de deux valets, mes promenades ressemblent à celle d’un prisonnier. Tante a bien tort de se méfier. Jamais je ne me sauverai. Sans doute, j’aime maman et je suis désolé de sa peine, mais, moi, l’aîné, je ne puis déserter. L’honneur des Hartfeld m’est confié ! Je dois continuer les traditions de famille et me battre à la tête de mes compatriotes ainsi que l’a fait papa. Je le lui ai promis au lit de mort, quand, avant le départ hâtif pour Rantzein, notre tante nous fit jurer de porter haut les armes des Hartfeld. Toi, mon petit Henri, tu as suivi le chemin où t’appelait ton cœur, tu as bien fait, notre chère maman ne pouvait vivre abandonnée.