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un but hostile au pays, à la famille. Tout bas elle l’appelait : l’ennemie.

La jeune femme vivait à côté de cette hostilité avec un esprit d’absolue renonciation personnelle : elle passait dans le monde comme les saintes, à peine occupée d’elle-même, négligeant de lutter et se reprochant ses moindres soupirs comme un excès de sensibilité égoïste.

Si, ce soir là, elle avait eu cette petite bravade d’arborer les couleurs de son drapeau, c’est qu’aussi vraiment elle souffrait trop à ces fêtes données à chaque anniversaire des défaites françaises. Et elle avait osé ainsi une sorte de protestation intime, pour elle seule, qui sans doute passerait inaperçue… elle avait compté sans l’observation à laquelle son rang, à la tête de la société, la condamnait.

Devant elle s’inclinait maintenant un nouveau personnage ; il murmurait :

« Daignerez-vous, Madame, accepter le bras d’un compatriote ? »

Elle consentit de suite, reconnaissant l’homme qui venait de boire à la revanche.

« Je vais, dit l’étranger, vous mener vers ma femme, elle sera heureuse de vous revoir ici. Votre première entrevue fut si pénible à Lomont ! Je suis M. Freeman. »

L’Alsacienne venait au-devant d’eux.

« Nos mains s’unissent ainsi que nos cœurs, comtesse, dit-elle, vous êtes Bretonne, moi Alsacienne, les deux ailes de la France.

— L’une est brisée, Madame.

— Le temps guérit, Madame, et les plumes repoussent.

— Hélas ! que puis-je souhaiter, moi, fille de France et mère d’Allemands !