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Michelle s’approchait d’elle, sa petite langue rose au bord des lèvres, ses jolis yeux rieurs et joyeux, la vieille fille de la côte eut un ressouvenir de sa jeunesse libre au bord des grèves, et quelque chose comme un attendrissement passa dans son cœur. Elle secoua la tête, laissa tomber ses bras :

« Ah ! tu peux rire, va fillette. »

Et elle se courba péniblement vers la terre pour cueillir ses chicorées.

« Attendez, dit l’enfant, je vas vous aider. »

Elle saisit le couteau, le panier, évitant ainsi toute besogne à la servante et elles rentrèrent ensemble.

Ce petit service fut récompensé tout de suite, Rosalie lava sans rien dire les taches du costume, fit baigner dans l’eau fraîche le visage et les mains de l’enfant. Puis quand les ablutions furent finies, Rosalie et Michelle se mirent ensemble à éplucher la salade assises devant la porte. Tout à coup, la petite s’écria :

« Ah ! j’aimerais bien mieux que ce soit vous, ma grand’mère ! »

Cette fois, le cœur de Rosalie s’émut tout à fait, elle tendit les bras et Michelle embrassa à pleines lèvres les vieilles joues halées de la domestique.

Sur le seuil du perron, debout, roide et digne, la douairière voyait cette scène, un sourire indulgent joua sur ses lèvres.

« Allons, se dit-elle, l’enfant a du cœur. J’ai été, moi, trop sévère dès l’abord ; cette pauvre servante a su mieux s’y prendre ; enfin, ajouta-t-elle avec son irrémissible orgueil que soixante-dix années de combat n’avaient pu vaincre, les plébéiens se devinent, la fille du marchand de bœufs va au-devant de ses pareilles. » Aussitôt, la marquise se reprocha cette pensée comme une faute, car, si elle n’était pas toujours maî-