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— Quel langage ! gémit la marquise. Que ferai-je de cette gamine ? »

Puis, s’adressant à Rosalie qui, debout, dans la porte, oubliait de filer sa quenouille pendue à son côté, intéressée et surprise elle aussi :

« Donnez donc à cette enfant quelque chose à manger. »

La servante obéit, ouvrit une porte ogivale qui donnait dans la cuisine.

« Va, ordonna la grand’mère, va, Michelle, et ne manque pas de réciter ton « benedicité ».

« Encore une croix, Seigneur ! se dit la marquise en joignant les mains, cette petite fille qui a mon sang dans les veines est toute à former, à reprendre, Seigneur, aidez-moi en cette tâche. Donnez-moi la force nécessaire pour triompher à mon âge du besoin de repos. »

Elle courba le front, ses mains lâchèrent le tricot commencé, elle remonta sa vie, son enfance précaire pendant l’émigration de ses parents à Coblentz, puis sa brillante jeunesse à la cour des rois, au temps où Charles X lui disait : « Marquise, vous dansez la gavotte comme une fée. » Son mariage ensuite avec l’élégant officier de la garde qu’était alors le marquis de Caragny, leurs déceptions en 1830, la guerre civile, les courses à travers champs pour porter à manger aux réfractaires cachés dans les bois, les combats héroïques des fiers Vendéens, les visites domiciliaires faites dans leur château où toujours les légitimistes persécutés pour refus de serment trouvaient asile. Après le triomphe du succès, la joie d’avoir joué l’ennemi. Enfin, la colère des braves légitimistes à l’avènement de Louis-Philippe, l’obligation de prêter serment de fidélité au nouveau roi. Oh ! ce jour où le décret parut, jamais elle