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Ah ! quelle déception ; les fertiles campagnes alsaciennes saccagées ; les blés roulés à terre, hachés par le passage des chevaux ; des maisons désertes, pas une fumée ne sortant des toits ; des animaux parqués sous la garde de soldats en uniformes prussiens. De temps à autre, un bivouac, une sentinelle qui s’avançait en reconnaissance, lisait le sauf-conduit, saluait et se retirait.

La nuit venue, le soldat cocher arrêta ses bêtes au bas d’une montée :

« Madame, dit-il, voyagerons-nous encore ? Ces chevaux n’en peuvent plus. Sur le château, là-bas, flotte notre drapeau, nous pouvons en approcher sans crainte, nous y prendrions un peu de repos. »

Michelle se pencha à la portière, elle vit le drapeau noir et jaune à la cime d’une tour, soupira profondément et :

« Faites ce que vous voudrez, relayez si c’est possible, et continuons. »

Aussitôt, la voiture tourna dans l’avenue de chênes séculaires et pénétra dans un parc superbe, aux gais massifs de géraniums rouges. À la porte de la cour d’honneur, un factionnaire les arrêta.

Le cocher échangea le mot de passe et la grille s’ouvrit :

« Où sommes-nous ? fit Michelle, s’adressant à un officier qui ouvrait la portière.

— Chez vous, Madame la comtesse, notre général est à quelques lieues.

— Conduisez-moi vite vers lui. Est-il gravement blessé ? je ne vis pas depuis deux jours.

— Rassurez-vous : le général est en bonne voie de guérison. Il m’a précisément envoyé au-devant de vous : je suis un de ses officiers d’ordonnance. Veuillez descendre et prendre quelque nourriture pendant qu’on va changer l’attelage.

— Chez qui sommes-nous ? répéta Michelle.