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prince ; mais au ressac, l’orage pourrait bien donner sur le large. Il va contre le vent.

— Alors ?

— Je vais forcer les feux pour sortir des eaux anglaises, et après, nous verrons sous le vent l’espace libre vers la mer du Nord.

Le globe éclatant du soleil descendait visiblement dans l’eau, on le voyait plonger doucement, puis il disparut tout à fait. Les longues bandes des stratus[1] se tintèrent d’ombre. La démarcation entre le ciel et l’eau devint impossible à définir. Partout, les nuages noirs voilèrent l’azur, et la mer glauque, sinistre, moutonnante, commença à soulever le léger bateau, ainsi qu’une balle élastique.

Le prince fit descendre sa famille, coucher les enfants, clore hermétiquement les écoutilles, puis il revint sur le pont et resta à observer la situation atmosphérique.

Le spectacle était effrayant et grandiose ; des éclairs de toute forme sillonnaient le ciel ; un roulement sourd, continu, faisait le tour de l’horizon. Ainsi qu’une tache sur l’eau, sa cheminée lançant des étincelles, le yacht semblait un jouet d’enfant :

« Cargue les voiles, toutes ! cria le capitaine.

— Où sommes-nous ? fit Alexis.

— À la garde de Dieu ! La boussole saute comme une folle, elle est désorientée. Tant que l’air restera ainsi, chargé d’électricité, il ne faut pas songer à gagner la rade. La bourrasque sera meilleure en pleine mer. S’il pouvait pleuvoir ! »

Comme il achevait ces mots, un éclair jaillit avec une intensité telle, que le pont fût illuminé ; un choc se produisit, le bout dehors de beaupré tomba à l’eau, brisé au ras du bastingage.

  1. Nuages du couchant longs et rouges.