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X


Le yacht du prince Rosaroff se balançait sur l’eau saumâtre à l’embouchure de la Seine. Il lançait une colonne de fumée dans l’air bleu. Les matelots se tenaient sur le pont prêt au signal. Une chaloupe venait de terre pour embarquer les passagers. Elle contenait les domestiques et les bagages. Une autre suivait dans laquelle étaient assis le prince, la princesse et la comtesse Hartfeld. Cette dernière, malgré la lourde chaleur d’orage, était vêtue de couleur sombre ; assise à l’arrière, elle tenait sur ses genoux son plus jeune fils. L’aîné, les mains aux rames, s’amusait à suivre les mouvements des rameurs.

« Vois, disait tout bas Michelle à Heinrich, vois les côtes de ma France, regarde bien enfant, et quand tu seras grand, aime la patrie de ta mère. »

Le petit regardait, et comme sur le quai un régiment passait, il eut un cri de joie et battit des mains.

Ces enfants-là avaient réellement dans les veines du sang de guerrier.

On aborda au navire. Les chaloupes furent hissées en leur porte-manteau, et le capitaine commanda :

« Pare à virer ! largue les amarres, toutes ! »

Un bruit de machine se fit entendre, un sillage d’écume suivit le bateau, et peu à peu les côtes s’éloignèrent, se fondirent en un lointain bleuté.