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Pierre eut un léger mieux, il put dire quelques paroles de tendresse à sa femme et à sa fille ; il eut l’immense consolation de s’entretenir avec un prêtre et de se confesser ; mais la force et la santé ne pouvaient plus revenir.

Alors la détresse tomba lourde dans le ménage : Jane eut à recevoir la visite de l’huissier ; elle éprouva un désespoir fou à la vue des privations qu’il leur fallait supporter de nouveau ; elle s’était si facilement acclimatée dans l’aisance !

Au lieu de se résigner, elle s’aigrit, devint maussade, oubliant de prier, restant inerte des heures sans songer au travail, sans s’occuper de sa fille qui vagabondait par la rue et qu’une voisine, émue de cet abandon, finit par conduire à l’école communale avec sa propre fille.

Un mois s’écoula. Pierre se traînait maintenant par la chambre, peu à peu démeublée ; il regardait à travers la fenêtre la bande de ciel bleu que lui mesurait la rue, et il reprenait son vieux livre de prières, lisait les psaumes et les évangiles. Et quand l’enfant rentrait de la classe, il lui montrait les images pieuses, en lui apprenant à lire les mots écrits au bas des gravures. L’intelligente fillette retenait et répétait. Elle adorait son père, passait tous ses soirs à le regarder si pâle, si oppressé, souriant quand même, doux et résigné. Tant qu’il en eut la force, il l’amusa avec des petits objets de bois qu’il lui taillait avec un couteau ; puis, vers Noël, une pneumonie se déclara et enleva le pauvre Pierre en quelques jours.

Jane faillit perdre la raison ; au lieu de se rattacher à ses devoirs maternels, de regarder avec courage une situation triste à coup sûr, mais surmontable à force d’énergie, elle se