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avant tout, amener aucune ombre dans les yeux de son mari. Il reprit encore plus hésitant :

« Tu es sûre de mon affection, n’est-ce pas ? Tu as vu combien je t’aimais ? eh bien, quoi qu’il advienne, ne doute jamais de moi. Peut-être devant ma sœur, dont, en somme, je viens de révolutionner l’existence, devrai-je ne pas témoigner pour toi l’immense tendresse de mon cœur, afin de ne pas l’affliger par comparaison. Elle s’est sacrifiée pour moi : elle a renoncé au mariage, au bonheur de la famille pour ne me quitter jamais. Tu admets bien que je lui doive quelque égard, quelque sacrifice même, n’est-ce pas ? Je te demande, Michelle, de les partager avec moi, de m’en alléger le poids, de comprendre enfin ce que j’exprime mal et de m’éviter la douleur de te voir une peine. »

Les yeux clairs de la jeune femme s’obscurcirent un peu, elle les voila de ses longues paupières pour cacher cette ombre, et comme la voiture entrait dans la cour sablée et se rangeait au bas du perron, elle vit en haut, sur la marche supérieure, entre deux rangées de vasques de marbre d’où s’élançaient de superbes palmiers, une femme grande, épaisse, au visage dur et qui ressemblait à Hans, d’une manière frappante, avec cette différence que les traits accentués, la haute taille allaient bien au comte et faisaient de la femme une sorte de géante hommasse.

Néanmoins, elle prit sur elle déjà, de ne rien manifester, malgré l’antipathie, née de premier jet, et du courant croisé des deux regards. Comme son mari la poussait vers sa sœur, elle passa, d’un geste enfantin, ses bras autour du cou d’Edvig en se haussant sur la pointe des pieds et elle l’embrassa. Ce système autrefois lui avait réussi avec Rosalie, mais la paysanne et la grande dame étaient grandement différentes. Le peuple, sans raisonnement, suit l’instinct de son