PRÉFACE
Les poètes restent parfois coincés, coincés dans leur bitume et leur mécanique, coincés entre les mains de praticiens rouges et quelquefois, même les larmes ne peuvent plus les désaltérer.
Et dans ce pays coincé qui est nôtre, Gaston Gouin a été débouté comme les querelles qui nous habitent. Il nous résumait tous, nos fols espoirs et nos révoltes ; à la fois étudiant, professeur, journaliste, patriote militant et perpétuellement poète torturant et torturé, dit et contredit.
Il incarnait singulièrement le québécois quotidien : tributaire à la fois de la mentalité urbaine et rurale, continuellement mobile et d’une haute capacité de conscience de soi, mais aussi spontané, direct, engagé, profond. Un pur produit de cette décade bouleversante.
Il aura été terriblement ce que pouvait notre époque : un homme profondément désaccordé. En lui triomphait et perçait le faisceau de puissance et d’identité alors que ce qu’il était lui-même demeurait caché. Et cette dislocation n’était pas un des moindres éléments de sa force, quand elle le conduisait à l’action ; hors de l’action, l’albatros s’exaspérait au sol, aspirait à l’infini. Ce qui, sans qu’il s’en rendît pleinement compte, le fascinait, c’était l’existence de ce double intime et secret dont l’absence, la violation lui étaient intolérables et cette densité invincible concourait, de son vivant même, à créer autour de lui un certain mythe.