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tives des parens pour ſéparer ces cœurs que la Nature avoit formés l’un pour l’autre.

La jeune demoiſelle fut orpheline dès l’âge de quinze ans, le jeune homme l’enleva, & furent vivre dans un climat où on ne perſécute pas les cœurs. Ils eurent pluſieurs enfans ; mais ramenés en France par l’indigence, le jeune homme fut ſe jeter aux pieds de ſon père avec ſa compagne & ſes enfans. Ce père inexorable, sur de ſon pouvoir ſous l’ancien régime, dicta des lois, les fit ſouſcrire à l’infortunée & l’a porta à point de ſolliciter elle-même ſon amant d’épouſer une jeune héritière que ſon père lui deſtinoit. Le bonheur, lui diſoit il, de vos enfans dépend de ce ſacrifice. Elle obéit, en voici les ſuites : elle ſe retire dans un hameau avec une ſimple penſion du père, & le malheureux jeune homme, forcé doublement par la Nature, s’unit avec la femme que ſon père lui donna. Il jura d’être époux irréprochable, & il tint ſa parole ; mais ſon épouſe, née avec des paſſions vicieuſes, ne fut pas ſix mois ſans lui donner la preuve de la ſottise qu’il avoit faite en ſe ſéparant de la femme la plus eſtimable ; il eut beau lui repréſenter la décence, la bienfeſance & le préjugé, elle n’en fut que plus déſordonnée, & ſe livrant juſqu’à ſes valets, elle porta ſon époux à ſe ſéparer d’elle, mais ſeulement dans le particulier. Elle devint enceinte : le mari, aſſuré par l’époque de leur ſéparation, que l’enfant ne lui appartenoit pas, lui parla en Philoſophe quelques jours avant ſon accouchement : « Madame, tout le monde nous croit dans la dernière intimité, & vous ſavez comme nous ſommes enſemble. Je ſuis juſte, ſoyons au moins conſéquens l’un & l’autre ; vous n’avez pu me cacher vos penchans, vous n’ignorez pas ma liaiſon avant de vous connoître. J’ai eu des enfans de la femme la plus reſpectable ; j’étois né pour elle : je gémis ſur ſon ſort. Vous allez êtes bientôt mère : ſoyons d’accord ſur le