Page:Gouges - Oeuvres de madame de Gouges - 1786.pdf/43

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

& sourd aux cris de la nature. Il revint dans sa province, ou il trouva celle qu’il avoit aimée, & dont il étoit encore épris, mariée & mère de plusieurs enfans dont le père étoit absent. De quelles expressions puis-je me servir, pour ne pas blesser la pudeur, le préjugé, & les loix, en accusant la vérité ? Je vins au monde le jour même de son retour, & toute la villa pensa que ma naissance étoit l’effet des amour du Marquis. Bien loin de s’en plaindre, le nouvel Amphitrion prit la chose en homme de Cour. Le Marquis poussa la tendresse pour moi jusqu’à renoncer aux bienséances, en m’appellant publiquement sa fille. En effet, il eut été difficile de déguiser la vérité : une resssemblance frappante étoit une preuve trop evidente. Il y auroit de la vanité a moi de convenir que je ne lui étoit pas étrangère, même du côte du moral ; mais on m’a fait cent fois cette remarque. Il employa tous les moyens pour obtenir de ma mere qu’elle me livrât a ses soins paternels ; sans doute mon éducation eut été mieux cultivée ; mais elle rejetta toujours cette proposition ; ce qui occasionna centre eux une altercation dont je fus la victime. Je n’avois que six ans quand le Marquis partit pour ses terres, où la veuve d’un Financier vint l’épouser. Ce fut dans les douceurs de cet hymen que mon père m’oublia & ne s’oc-