Page:Gouges - Oeuvres de madame de Gouges - 1786.pdf/172

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sans pouvoir me résoudre à revenir sur mes pas. Pour peindre les mœurs, & rendre les caractères, il faut d’autres pinceaux que les miens. Et vous, Public, à qui je prépare à rire, ou peut-être à faire pitié, condamnez ou blâmez ma destinée ; mais son arrêt plus fort que vos raisonnemens m’a conduite à la vocation d’Auteur, & d’Auteur sans art & sans culture, & cependant douée d’une imagination indispensable pour la composition. L’Écrivain stérile qui produit aux dépens d’une riche Bibliothèque, est sûr de sa marche ; par-tout méthodique, & par-tout dans la règle, il n’a point à craindre de s’égarer : celui au contraire qui n’est guidé que par son imagination seulement, se laisse emporter souvent au delà des bornes. Pour moi, qui aveuglement m’écarte de la route frayée, je dois être plus excusable que personne ; mais je sais qu’on ne contente pas le Public par de pareilles justifications : amuse-moi, dit-il, ou cesse d’écrire. Rien n’est plus aisé que de résoudre un pareil problême ; mais rien n’est plus difficile que de suivre un aussi sage conseil. Ainsi donc à mon tour je représente qu’il faut supporter ce qu’on peut détruire, & que vous devez, ô Public redoutable, recevoir avec indulgence tous les efforts que je fais pour vous séduire.