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[Il le regarde de la tête aux pieds.]

D’où vient le déſordre dans lequel tu parois à ma vue ?

Le jeune Montalais.

De grace, mon pere, ne faites point attention à mon état ; je n’ai conſervé ma raiſon que pour vous ſauver. Le ſeul moyen qui nous reſte pour vous dérober à la pourſuite de votre créancier, eſt de me ſuivre. Voilà cent écus : ne vous informez point à quel prix j’ai pu obtenir cette ſomme ; elle ſuffira pour vous tranſporter dans un lieu ſûr.

{{di|[Il tire de ſa poche un petit ſac d’argent.]}

Le vieux Montalais.

Mon fils, laiſſes-moi ſuivre mon ſort. Je touche à la derniere époque de ma vie ; j’ai près de ſoixante-dix ans. J’ai vécu dans l’adverſité : le Ciel m’a donné des enfans vertueux qui m’ont ſecouru & conſolé dans ma miſere : je ne ſouffre que pour vous, mes chers enfans. Que me fait ma liberté ? Je n’ai point commis de crime ; on ne me privera pas, ſans doute, du plaiſir de vous voir quelquefois.

Marianne, ſe jettant à ſon col.

Ô mon pere, cher auteur de nos jours, pouvez-vous penſer que vos enfans permettent jamais qu’on vous arrache d’entre leurs bras ? Quoi donc, une affreuſe priſon deviendroit votre demeure à la fin de vos jours ! Nous ne ſerions pas continuellement auprès de vous, pour vous donner les ſoins que vous devez attendre de notre tendreſſe ! Ah, cette idée me révolte, & mon ame ne peut la ſupporter.