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Le récit des cruautés exercées par des maîtres féroces sur les malheureux Africains avoit ému ma sensibilité. Solliciter en leur faveur l’opinion publique, éveiller la bienveillance sur ces déplorables victimes de la cupidité, tel fut le devoir que je m’imposai. Un drame sentimental me parut très-propre à remplir mes vues. J’imaginai donc le plan de ma pièce intitulée : l’Esclavage des Noirs. Je la dialoguai : M. Suard y trouva assez d’intérêt dramatique, pour la proposer, en 1783, sous l’anonyme, à la comédie françoise, qui en indiqua la lecture prochaine. On sut bientôt que cet ouvrage étoit de moi : alors la lecture traîna en longueur ; je fis des démarches, je sollicitai, et enfin on me fixa au 17 avril 1784.

Je parus devant le tribunal comique. Momus avoit secoué ses grelots sur les aréopagistes : à mon aspect, des ris moqueurs sillonnèrent les visages ; des chuchottemens caustiques, des propos piquans servirent de préface à la lecture : on ne daigna pas ménager mon amour-propre : je vis, j’entendis très-distinctement tout ce qui pouvoit l’humilier. Cette lecture, disoit l’un, nous donnera la comédie : depuis quinze jours, répondoit l’autre, j’ai une insomnie ; je vais prendre une bonne dose d’opium.