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 « Puis, un jour, votre main jusqu’alors tutélaire
« Appesantit sur moi le poids de sa colère.
« Et me jeta, du clair des Cieux chez les Humains,
« Aux veines des cailloux errants sur les chemins.
« Encore là j’avais l’air vibrant des campagnes,
« J’allumais les foyers des pâtres des montagnes ;
« Plein de vieilles chansons, l’Océan me roulait,
« Comme un berceur, dans ma nacelle de galet ;
« Puis, quand tu m’enfermas dans la blancheur des cires,
« Me résignant, je dis : Fais comme tu désires !
« Mais, ô maître Soleil ! — en nos âges damnés,
« Où pour la brume et pour la nuit les gens sont nés,
« Oublieux du Tropique et des doux Équinoxes —
« Vers le pôle de glace et la zone des boxes,
« Au pays du Coltar où l’on sème du fer,
« Où la sorcière Suie, enfin reine de l’Air,
« Se marie au nuage et de baisers te souille…
« Soleil ! tu m’as vendue à ces nains de la houille !
« Sous leur pressoir, dans leur compteur nauséabond,
« Fille des Dieux, prostituée au vil charbon,
« <De l’égout, tout le jour, je subis les étreintes,
« Et la Nuit seulement peut écouter mes plaintes… »

En entendant ce long récitatif si doux,
J’oubliai les torrents de pluie et les vents fous ;
Je songeais au lointain pays, aux vagues bleues
Dont je suis séparé par la longueur des lieues
Et la largeur du temps ; à l’arête du mur
Détachée en vigueur sur l’impeccable azur,
Aux yeux non embrumés des larmes des nivôses.
Aux juvéniles corps ignorant les chloroses.
Aux grappes du coteau toutes noires de vin :
Impérial Midi dont on se rit en vain !
Oh ! l’ensoleillement de l’enfance première !

Alors je répondis tout bas à la Lumière :
Tu n’es point la seule à pâtir,
Ô Lueur, dans la nuit obscure,
Tu n’es point la seule à sentir
Que notre père a la main dure ;
Les poètes et les rêveurs
Ont perdu toutes les saveurs
Des gais printemps enjoliveurs.
En la Grand’Ville qui les mure.