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six étages qui séparaient du sol de la rue Legendre la demeure de l’homme bienfaisant, ayant consenti à créer un journal pour les jeunes.

Je m’attendais à voir là quelque vieux philanthrope, quelque saint Vincent de Paul, portant sur chaque bras un sonnet trouvé, et, suspendus aux pans de sa robe de chambre, une multitude d’alexandrins perdus et d’hémistiches orphelins. Je m’imaginais, dans ma naïveté de provincial, que, puisqu’on trouve de tout à Paris, on y devait rencontrer des pères adoptifs pour les œuvres géniales mais pauvres, qui encombrent les tiroirs, ces berceaux à forme de cercueils.

Telle était ma pensée, au premier étage, sur le palier.

Je poursuivis mon ascension. Mais, au fur et à mesure que j’approchais du but, je sentais naître, en moi, cette forme particulière de la terreur, qu’on appelle le trac, et me livrais à toute une mimique d’hésitation, avant que, prononçant mon alea jacta est ! sous la forme plus moderne de : Allons-y ! je fis tinter la sonnerie, qui, du coup, arrêta les palpitations inutiles.

Un salon très éclairé, orné d’une grande