Page:Goudeau — Dix ans de bohème, 1888.djvu/21

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

j’entrais sur la pointe des pieds, me mettant à une table près de la porte, demandant un verre de bière, à voix basse, et un journal qui me servait à garder une contenance. À la dérobée, je jetais des coups d’œil sur le clan sacré ; — on devait me prendre pour un simple mouchard.

Je rentrais, désespéré de cette sotte attitude, et, afin de m’en consoler, me jetais sur ma table de travail, pour parfaire le chef-d’œuvre nécessaire à mon introduction dans ce monde idéal, où, tout en buvant, au lieu de jouer à la manille, on savait faire mouvoir les idées, comme de simples pions, sur l’échiquier immense de la poésie.

Enfin, comme un mouton enragé, je pris un jour ma timidité et la jetai par-dessus bord ; j’allai voir — oh ! non pas un poète, pas un de ces hommes qui tutoient par vocation les dieux et les étoiles, non — mais un littérateur qui me paraissait plus abordable. Encore, de peur du ridicule, je n’emportais aucun manuscrit : ni mon drame ni ma comédie, pas même un sonnet ; et je me rendis, sans armes, chez Francisque Sarcey.

Ce fut, messeigneurs, une belle conférence, au bout de laquelle le prince de la critique