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porter glorieusement le déshonneur d’être jeune et inconnu. Au contraire, avec quelle terreur on approche de la redoutable forteresse des livres, combien de temps l’on reste à épeler les titres des volumes mis en montre, les noms célèbres étalés en bonne place sur la couverture jaune, rouge, bleue ouverte… Le to be or not to be traduit par : Entrerai-je ou n’entrerai-je pas ?… Enfin, décidé quand même, on entre, on est entré, c’est l’heure solennelle ; on essaye d’imprimer à ses lèvres un sourire d’homme aimable, de joyeux Parisien, et c’est un affreux rictus qui se dessine, tordant la bouche, tandis que les yeux s’effarent, qu’une subite moiteur gèle le front et que les tempes se contractent… Tous ceux qui ont passé par là ont plus ou moins senti ces affres ; mais le pauvre, isolé sans répondants, ne se fiant qu’à peine à sa croyance en lui-même, ne s’y fiant même plus du tout, se trouve niais, vague, éperdu dans l’antichambre éditoriale. Les pires vers de son recueil, les phrases les plus obscures, les moins bien équilibrées, dansent dans sa mémoire.

Et selon le caractère, l’âge, l’humeur momentanée du prince éditorial, le malheureux candi-