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Théorie de Langlois sur les dates de l’Image du Monde. — Jusqu’ici les dates de l’Image du Monde n’ont paru offrir aucune difficulté. Mais dernièrement Langlois, dans son ouvrage sur la Connaissance de la nature au moyen âge, a proposé une théorie qui complique singulièrement les choses.

Cette théorie est basée sur le prologue exceptionnel du manuscrit Harley 4333, et plus particulièrement sur le passage suivant :

Fo 1 a.En l’an de l’Incarnacion
Jhesu, nostre redemption,
mil .CC. ans qarante sis
fui d’un livre faire pensis
de tote l’ymage del monde[1].

  1. Ce manuscrit a tous les traits caractéristiques de la seconde rédaction ; il ne s’en distingue que par son prologue et par quelques passages qui manquent. Mais l’ordre des chapitres est le même et l’ouvrage est divisé en deux parties seulement.

    Paul Meyer a étudié ce manuscrit (v. Romania XXI [1892] p. 481). Pour lui, Harley représente une étape intermédiaire entre la première et la seconde rédaction. Langlois (o. c. p. 63) y voit « une troisième rédaction postérieure aux deux autres, puisqu’elle les mentionne, mais dont il n’y a aucun moyen de déterminer la date. »

    L’opinion de P. Meyer sur ce point, comme sur celui de la date, nous semble avoir en sa faveur des arguments bien plus concluants que ceux de Langlois. Ce dernier fait observer qu’il y a plusieurs lacunes dans le manuscrit ; d’où il conclut que l’auteur a simplement supprimé quelques digressions, en vérité trop amples, de la seconde rédaction.

    Pourtant l’argument contraire semble être tout aussi plausible et bien plus d’accord avec les faits. Selon nous, la rédaction représentée par Harley est antérieure à la seconde rédaction. Par conséquent les passages qui manquent n’ont pas été omis : ils ne se trouvent pas dans le manuscrit de Londres, simplement parce que l’auteur n’avait pas à sa disposition certains matériaux qu’il ne s’est procurés que plus tard ; en voici la preuve : Dans la seconde rédaction, l’auteur fait deux fois allusion à un voyage entrepris par lui-même. Nous citons d’après Langlois (o. c. p. 56) :

    ... fors uns dont je trouvai la Vie
    En la cité d’Acre en Surye
    En un livre qui le devise
    Que je trovai en une eclise
    D’ancienne religion
    Qui apent a Monte Syon.
    Mere Eclise en Jerusalem.

    La « vie » dont il s’agit est la légende de Seth au Paradis terrestre qui occupe 314 vers.

    Dans un second passage, l’auteur décrit la Sicile et le Mont Gibel (l’Etna) ; il nous fait part de ses impressions lors de son ascension du volcan (Langlois, o. c. p. 57) :

    Je, qui cest livre fis ici,
    Celes .II. monteignes je vi
    Et montai en son la plus grans
    Pour veïr ce qu’ist de leans.
    La bouche vi de la fumée
    Qu’adès fume sanz reposée...

    Or, ce sont là précisément les deux passages qui manquent à Harley, de même qu’ils manquent à la première rédaction et à celle en prose.

    Cela nous semble être une preuve conclusive que l’opinion de P. Meyer est celle qu’il faut adopter, et que Harley représente en effet un état encore imparfait de la seconde rédaction, une édition antérieure aux voyages de l’auteur.