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HISTOIRE DU MOYEN-ÂGE

« ses meilleurs maîtres en théologie », dans cette vallée d’absinthe, qui devient la vallée illustre, clara vallis, Clairvaux, d’où il devait dominer l’Europe chrétienne. Ascète, thaumaturge, théologien, orateur, Bernard a tous les dons, tous les talents populaires au XIIe siècle. Aussi quelle influence incontestée ! Rois, papes, empereurs, courbent la tête devant ce moine inspiré. Membre d’un ordre né d’hier, il reproche aux Bénédictins de Cluny leur luxe tout mondain ; il gourmande les évêques ; il fait rougir Suger de son train royal ; il compare Louis VI à Hérode ; il déclare l’honneur de l’Église amoindri sous le pontificat d’Honorius. Appelé au concile de Troyes en 1128, il rédige la règle des Templiers, ces moines-soldats « jamais peignés, rarement lavés, la figure inculte et hérissée, le visage souillé de poussière, » qui prolongèrent si longtemps la résistance de la Palestine chrétienne. Deux papes se disputent la tiare : Anaclet tout-puissant et en possession du Saint-Siége, Innocent II exilé et proscrit : à Étampes les évêques, incertains, laissent à Bernard le soin de décider ; il se prononce en faveur d’Innocent, il entraîne l’empereur Lothaire contre Anaclet, obtient le désistement d’un nouvel antipape, Victor III, force Innocent II, qui voulait dépouiller les partisans d’Anaclet, à renoncer à son projet, et défend, contre son protégé, les droits de l’Église gallicane. Ce rôle politique ne détourne pas Bernard de sa véritable mission : quand les esprits s’éveillent et veulent penser par eux-mêmes, quand Abélard, déjà condamné par le concile de Soissons (1122) pour un traité hérétique sur la Trinité, perce les mystères de la scolastique et fait tout comprendre, saint Bernard oppose la foi à la raison ; s’il accepte la controverse publique à Sens, il y paraît moins en contradicteur qu’en juge et fait condamner Abélard et son porte-étendard Arnauld de Brescia, à l’incarcération. Abélard, réconcilié avec l’Église, trouve à Cluny un asile plutôt qu’une prison ; Arnauld de Brescia va faire une révolution à Rome ; Innocent II en meurt de douleur ; Lucius II est chassé du Capitole à coups de pierres ; les cardinaux élisent alors